2 juin 1793, 29 députés girondins révoqués : le « parti » conservateur balayé à l’assemblée

2 juin 1793, 29 députés girondins révoqués : le « parti » conservateur balayé à l’assemblée

Un préalable s’impose. Il n’y a pas d’opposition initiale entre Girondins et Jacobins pour la simple raison que tous les leaders girondins étaient jacobins ! C’est au sein des Jacobins et notamment du club de Paris – il y a des clubs jacobins dans toute la France – que les Girondins se rencontrent, se structurent, établissent leur politique. Les Girondins dominent le réseau jacobin jusqu’à l’été 1792. D’ailleurs, au cours de cette année 1792, le journal de Carra, le plus en vue de la presse girondine, est le journal le plus lu dans les clubs jacobins. À Aix, les Antipolitiques, jacobins radicaux – entendre à la Gauche de la Gauche –, continuent à lire le Carra en séances en 1793 au plus fort de la crise entre Girondins et Montagnards, dont les rangs de ces derniers sont abondamment fournis par les Jacobins. Enfin, pendant la Révolution française, on n’appelle pas les Girondins « girondins », mais les Brissotins, du nom de leur chef de file, Jacques-pierre Brissot. Aussi, à chaque fois que vous lirez « Brissotins », cela signifiera « Girondins » et réciproquement. De surcroît, les partis politiques n’existent pas encore, j’ai utilisé le terme en titre par commodités. Mais alors, qui sont les Girondins ? À peu près l’exact opposé de tout ce que vous entendez dire à la télévision.

Au club des Jacobins et d’autant plus après la scission avec les Feuillants en 1791, ils se révèlent parmi les plus modérés, entendre ceux qui se méfient des classes populaires, difficilement contrôlables, ils défendent un système politique plutôt favorable aux possédants et se révèlent très tôt fervents partisans du libéralisme économique, ce qui ne les empêche pas d’être contre l’esclavage – Brissot est même l’un des fondateurs de la Société des Amis des Noirs – ou de lutter âprement contre les prêtres réfractaires. Brissot justement commence à réunir autour de lui ses amis – dont beaucoup viennent de la Gironde – sous l’Assemblée dite « Législative », en octobre 1791. Ils s’appellent Vergniaud, Isnard, Gensonné, Guadet, Condorcet, … Et alors que la Révolution française avait proclamé une « déclaration de paix au monde » (20 mai 1791), les Girondins défendent bientôt la guerre offensive. Évidemment, ils mettent en avant l’idée de guerre préventive – les monarchies européennes hésitent encore à attaquer la France pour y éteindre le feu révolutionnaire – et avancent l’idée que tous les peuples attendent d’être libérés de leurs tyrans. Et c’est de la tribune des Jacobins que les Girondins appellent à la guerre. S’y opposent notamment Jean-Paul Marat et Maximilien Robespierre qui lance : « Remettez l’ordre chez vous avant de porter la liberté ailleurs […] La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois ; Personne n’aime les missionnaires armés ! »


L’objectif inavouable des Girondins ? Mener une guerre de rapine. La vente des biens nationaux et l’assignat n’ont pas remporté les succès escomptés, il faut donc trouver l’argent ailleurs. Une interprétation malhonnête ? « La guerre est indispensable à nos finances et à la tranquillité intérieure. » Brissot.


Enfin, en mars 1792, Louis XVI appelle un « ministère girondin » réuni autour de Roland, le ministre de l’Intérieur. Les Girondins allaient obtenir du roi qu’il déclare la guerre à François, roi de Bohême et de Hongrie, futur empereur d’Autriche. Ils n’eurent pas à insister, il y avait bien longtemps que le Roi et la Reine de France entretenaient par correspondance des suppliques pour une intervention militaire contre… la France ! Quelle est la politique girondine ? Cédons la parole à Roland, girondin deux fois ministre : « Tout ce que l’État doit faire en matière économique est de déclarer qu’il n’interviendra jamais car ce n’est pas son domaine. » Il faut dire que les Girondins sont gagnés aux idées de Voltaire : « L’esprit d’une nation réside toujours dans le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui et le gouverne. » Remerciés par le roi en juin 1792 puis rappelés, les Brissotins ne participent pas à la prise des Tuileries, pourtant nombre d’entre eux sont républicains – Condorcet par exemple. La chute de la Royauté est le fait de la mouvance populaire et démocrate et se fait sous l’impulsion des Cordeliers, des sections de Paris et des bataillons des Fédérés venus de toute la France, les Marseillais faisant remonter Le chant de guerre pour l’armée du Rhin que l’on appellerait bientôt L’hymne des Marseillais – oui, à l’époque, l’extrême-gauche chante La Marseillaise. Bientôt la République, adoptée discrètement par décret le 22 septembre 1792, un jour après l’abolition de la Royauté.

Une nouvelle assemblée constituante, la Convention, est appelée à siéger. Les députés se répartissent par sensibilité. La majorité au Centre, c’est la Plaine ou le Marais. À Gauche, la Montagne – non, les Montagnards ne siègent pas en haut ! À Droite, la Gironde – et sous la République, les Girondins allaient considérablement se droitiser, s’illustrant par une politique farouchement conservatrice et assurément libérale. Camille Desmoulins, journaliste et député montagnard, républicain de la première heure, évoque les « républicains aristocrates » – les Girondins – et les « républicains démocrates » –  les montagnards. Dichotomie qui n’est pas contestée par la droite parlementaire. Brissot dégaine presque au lendemain du 10 août et résume à lui tout seul la conception girondine de la République : « Le peuple doit rentrer chez lui et laisser à ceux qui ont plus d’esprit que lui la peine de Gouverner. » – ce qu’il nierait avoir dit, à son procès.


Mais face au pouvoir légal de la Convention s’établit celui de la Commune insurrectionnelle de Paris, ville rouge, qui se fait le porte-voix des Patriotes. Les sociétés populaires, dont à peu près 6000 – moins de la moitié – sont jacobines, et la Commune exigent des mesures sociales et une politique d’exception – non, à l’époque l’extrême-gauche n’estime pas que sauver la Patrie avec des lois d’exception le temps d’une crise d’une gravité majeure est une politique liberticide.


Crise causée en grande partie par les Girondins qui sont incapables de gérer la guerre qu’ils ont déclenchés, mais refusent les mesures exceptionnelles qui s’imposent. Face à la pression du mouvement populaire parisien, Lassource, député girondin, dit : « Je crains le despotisme de Paris, et je ne veux pas que ceux qui y disposent de l’opinion des hommes qu’ils égarent dominent la Convention nationale et la France entière. Je ne veux pas que Paris, dirigé par des intrigants, devienne dans l’empire français ce que fut Rome dans l’empire romain. Il faut que Paris soit réduit à un quatre-vingt-troisième d’influence comme chacun des autres départements. » La Droite, déjà, établit le vocable du « démagogue ». Rien à changer de ce point de vue depuis les Girondins, si ce n’est que la Gauche s’est laissée gagnée à leurs conceptions « aristocratiques ». Il faut préciser que ce souhait de Lassource n’est pas revendiqué par les Girondins qui s’illustrent bien au contraire par une politique très… centralisatrice ! Nous y reviendrons. Le Girondin vise en réalité la députation démocratique de Paris : Marat, Danton, Robespierre, Desmoulins, Fabre-D’Églantine, etc. Les Girondins, à l’Assemblée notamment, par leur presse puissante évidemment – mais à l’époque il existe aussi une presse patriotique, de Gauche et d’Extrême-Gauche, tout aussi puissante – parlent de la politique montagnarde en les termes suivants : « niveleurs », « anarchistes », les accusent de vouloir réaliser « la loi agraire » – le partage des terres. Les Montagnards sont inspirés entre autres par un philosophe des Lumières aujourd’hui oublié du grand public, l’abbé Gabriel Bonnot de Mably. « Vous parlerai-je de la mendicité, qui déshonore aujourd’hui l’Europe, comme l’esclavage a autrefois déshonoré les républiques des Grecs et des Romains ? » En effet, au droit à l’existence revendiqué pour le peuple par les Montagnards, contre « l’aristocratie de la richesse », les Girondins opposent la liberté absolue de commercer – les Brissotins refusent par exemple le maximum des prix sur les denrées alimentaires alors que l’accès aux subsistances est un problème majeur. Par ailleurs, les Girondins font voter le 8 décembre 1792 la peine de mort contre ceux qui s’opposeraient à la libre circulation des denrées (c’est-à-dire la dérégulation totale).  Mais les Girondins, loin sans faut, ne représentent pas un bloc homogène – pas plus du reste que les Montagnards. Ils se divisent à l’occasion du procès du roi. Oui, Louis XVI a bénéficié d’un véritable procès. Arrêté le 10 août, son jugement commence en décembre et il est exécuté le 21 janvier 1793. Le roi est défendu par trois avocats et les députés sont divisés. Le verdict n’est assuré ni dans un sens ni dans l’autre, ce que craint le peuple par ailleurs. Depuis des mois, de toute la France, les sociétés populaires exigent que l’assemblée juge le roi – oui oui – et espèrent une condamnation. Les citoyens du Grand Ouest, de Provence, écrivent qu’il est « l’infâme Capet », « un roi traître et parjure » (voir Peyrard), « Le traître qui a fait couler le sang des Français. » Les Girondins veulent mettre en accusation l’intervention populaire du 10 août et faire un « appel au peuple ».


Mais les adresses populaires à la Convention … condamnent l’appel au peuple. Car les modérés ont réinvesti les sections – des circonscriptions électorales et la guerre civile menace de prendre un nouveau tour – ah, l’Histoire de France…


Quatre questions sont posées pendant le procès et contrairement à une idée largement répandue, certains Girondins votent aussi la mort du roi et sans sursis. De surcroît, les Girondins craignent une amplification de la guerre – qu’ils ont déclenchée –, les résultats étant pour l’heure catastrophiques – les armées sont commandées par des officiers contre-révolutionnaires ou des « monarchiens » – La Fayette s’est rendu aux Autrichiens. Mais les Girondins ne frappent pas. Au début de l’année 1793, la Droite est chahutée : les adresses des sociétés populaires à la Convention demandent la révocation des « appelants au peuple » et des députés qui n’ont pas voté la mort du roi.

Les frontières sont sur le point de céder et tout le monde a en-tête les autres révolutions, en Europe, dépecées par des interventions militaires étrangères. La Convention décrète la levée de 300 000 hommes dont certains critères se révèlent arbitraires – veufs sans enfants, célibataires. Bientôt l’anti-révolution rejoint la contre-révolution : le Grand Ouest se soulève autour d’un épicentre, la Vendée, qui n’avait déjà pas appréciée les mesures antireligieuses et contre le clergé réfractaire. L’armée catholique et royale (c’est son nom) de Vendée massacre à tours de bras – oui oui, c’est ainsi que cela a commencé, sauf à considérer qu’enterrer vivants des républicains ou scier les mains d’un président de district avant de le perforer de part en part à coups de baïonnettes relèvent de l’acte anodin – et ouvre un front intérieur qui ne se refermerait pour partie qu’en décembre 1793 au prix de massacres des deux côtés et de 150 000 morts – c’est peut-être un minimum –, de part et d’autre – le soi-disant « génocide vendéen » est une fiction. Coup de Semonce : le 18 mars 1793, le Général Dumouriez, vainqueur à Jemmapes, subit une lourde défaite à Neerwinden – il n’avait pas su profiter d’un avantage considérable. Les Girondins le protègent jusqu’au bout. Jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à sa trahison avérée. Dumouriez, farouchement opposé à la République, passe à l’ennemi et prépare un coup d’État. Il livre même aux Autrichiens les commissaires envoyés par la Convention et Beurnonville, le Ministre de la Guerre. Ses hommes refusent de le suivre et il est contraint à la fuite. Une trahison qui fragilise également l’équivoque Danton, député montagnard corrompu, ami de Dumouriez. Les Girondins sont contraints d’accepter des mesures qu’ils avaient jusque-là refusé : le tribunal révolutionnaire, le comité de salut public – 6 avril – ou encore le maximum des prix. Les Girondins essaient donc de faire vaciller la mouvance démocrate. Ils font mettre Marat en accusation. « L’Ami du peuple » ne se défausse pas : il est acquitté – 24 avril – et est porté en triomphe. Qu’à cela ne tienne, les « brissoteurs de démocratie » (voir Leuwers) pour reprendre le mot de Camille Desmoulins adoptent une ultime stratégie. Contrairement à une idée largement répandue, notamment par des intellectuels médiatiques qui se disent « girondins » mais sans avoir jamais lu une source girondine, les Girondins étaient très favorables à un pouvoir exécutif central très fort – un pouvoir centralisé. Le projet de Constitution présenté par Condorcet, girondin éminent, en est une illustration. Centralisateurs, conservateurs, et adeptes du libéralisme économique. Mais mis en échec par la Commune insurrectionnelle de Paris, les Girondins jouèrent la carte des notables de provinces contre le mouvement populaire – en clair, ils excitèrent les propriétaires dans les départements en agitant des arguments foncièrement « réactionnaires » dirions-nous aujourd’hui. Par ailleurs, ils souhaitaient une force armée venue des départements justement, stationnée autour de l’Assemblée pour, le cas échéant, mettre à bas dans le sang les révolutionnaires parisiens – ceci explique cela… De surcroît, les Girondins avaient continué à appliquer la loi martiale votée en octobre 1789, c’est-à-dire la possibilité légale pour les officiers municipaux de tirer sur la foule à l’occasion de rassemblements suspects – celui des républicains pétitionnant sur le Champ-de-Mars sans armes à l’initiative des Cordeliers le 17 juillet 1791 par exemple – ou dans le cadre des révoltes frumentaires – le philosophe « girondin » mais de Gauche anarchiste (contre-sens historique vous l’aurez compris) n’en parle pas sur les plateaux de télévision… Évidemment, la violence girondine contre la mouvance populaire avait généré une hostilité incommensurable à l’encontre des Brissotins. La Convention créa donc une commission extraordinaire, dite « Commission des douze », chargée de prévenir des complots – la vie de députés girondins était désormais en jeu, le journaliste Hébert par exemple appelant au meurtre. Les Brissotins se servirent de la Commission pour tenter d’épurer le mouvement populaire parisien, cette commission comptant… onze députés girondins. Mais les clubs jacobins de province réclamaient depuis longtemps des mesures sociales et d’exception, les mêmes que portait le peuple de Paris – les Antipolitiques d’Aix par exemple, réclamaient un tribunal populaire depuis août 1792 et depuis 1790, n’avaient de cesse de demander des décrets contre les agioteurs et les accapareurs. Aussi, les Jacobins soutenaient-ils la politique sociale incarnée par les Montagnards. C’est le moment de le préciser, contrairement – encore – à une autre idée toujours trop largement répandue, les Jacobins – dont les clubs étaient composés de citoyens – ont créé un système politique TRES décentralisé – mais cela mériterait au moins un article comme celui-ci. Par ailleurs, la politique conservatrice et libérale des Girondins, affirmée dès la naissance de la République, leur avait valu l’exclusion du club des Jacobins en octobre 1792 – d’où l’opposition couramment établie entre Girondins et Jacobins –, le réseau étant largement gagné aux idées démocratiques et sociales, aux principes de Gauche.

La dernière passe d’armes est une fois encore initiée par les Brissotins. Précisons préalablement qu’alors que la révocation des députés girondins est exigée par des citoyens – oui, sous la Révolution, on peut révoquer les « mandataires infidèles », à tous les échelons –, un homme s’y oppose : il s’appelle Robespierre. « L’incorruptible », dont ses ennemis disent qu’il fréquente abondamment les maisons de plaisir et a des maîtresses dans tout Paris – mais le philosophe aux lunettes rectangulaires vous parlera du « Robespierre puceau qui n’a pas de bouche » – entend les combattre sur le terrain politique, projet contre projet dirait-on aujourd’hui. Cependant, les Girondins se lancent dans une bataille totale. Vergniaud, l’un de leurs leaders éminents, le grand orateur des Girondins, appelle les possédants à fondre sur le peuple : « Généreux habitants de la Gironde, il n’y a plus un instant à perdre. La propriété est menacée et il faut intervenir sous peine de voir se dissoudre  tout le corps social ! » (8 mai 1793). C’est cependant la charge d’Isnard, le député girondin du Var, parfumeur de Grasse, qui sonne le glas du côté droit – c’est l’expression de l’époque. Sa menace, ultra violente, est une déclaration de guerre au mouvement populaire et démocrate parisien. « Si la moindre atteinte est portée à la propriété dans Paris, nous demanderons à la province d’intervenir militairement. Paris sera rasée ! Et dans quelques années, le voyageur des bords de Seine s’étonnera et se demandera si jamais une ville a existé là. » (25 mai 1793). Il engage une lutte à mort. Les Girondins n’ont jamais été hostiles aux mesures répressives ni à la violence, à partir du moment où elles ne frappaient pas les notables. Ils ne sont pas opposés à Paris parce qu’elle est la capitale, mais parce qu’elle est le foyer de la Révolution populaire, fer de lance d’une République démocratique et sociale, où l’on entend que la liberté des riches en général, des propriétaires en particulier, ne soient pas un obstacle à celle des pauvres, que l’on veut sortir de l’indigence. La diatribe d’Isnard est l’acte de trop contre l’espérance d’une République sociale.


Le 26 mai, Robespierre appelle le peuple à l’insurrection de la tribune des Jacobins. Le 31 mai, les commissaires des sections de Paris investissent la Convention et exigent la suppression de la Commission des douze, l’exclusion des députés girondins « infidèles » et la mise en place immédiate de mesures sociales. Les députés y voient naturellement un coup de force – y compris dans les rangs de la Montagne. La Convention supprime la commission des douze.


Le 2 juin, comprenant qu’ils n’obtiendront rien sans un véritables coup de force, les insurgés investissent de nouveau la Convention, mais cette fois-ci, ils sont soutenus par le chef de la Garde Nationale, Hanriot, 80 000 hommes et des canons – les forces chargées du maintien de l’ordre prennent le parti du peuple contre les traîtres à la Patrie – qui encerclent l’Assemblée. Les vingt-deux députés girondins jugés « mandataires infidèles » sont immédiatement révoqués. Un homme les protège, il s’oppose à leur arrestation et leur mise en jugement : Robespierre ! Ca non plus, il ne vous le dira pas, le philosophe… Ces « mandataires infidèles » sont simplement assignés à résidence, ils ont interdiction de se rendre dans les départements et de réaliser leur projet de rébellion – insurrection et rébellion ne sont pas la même chose, question de point de vue ? Nonobstant, nombre d’entre eux prennent la fuite, rejoignent les départements et les appellent à se soulever contre la Convention – pas contre Paris, contre la Convention, si elle avait siégé à Marseille, c’eut été la même chose. C’est « l’insurrection fédéraliste ». Par ailleurs, au printemps, les troubles ont déjà commencé en provinces. Les circonscriptions électorales désarment les révolutionnaires de la première heure et réarment les suspects qui avaient été eux-mêmes désarmés par les premiers – c’est criant à Aix et à Marseille. En réalité, ceux que l’on appelle « les fédéralistes », les sectionnaires pro-Girondins, qui dans les villes s’opposent aux Jacobins, qui sont leurs concitoyens, donc des habitants des mêmes villes, crient aussi « Vive la République une et indivisible ! ». Le fédéralisme jacobin fut lui très puissant en Provence. Par conséquent il ne faut pas confondre centralité législative et centralisation.


L’opposition entre « fédéralistes » pro-Girondins et Jacobins pro-Montagnards n’est donc pas une opposition entre partisans de la décentralisation et partisans de la centralisation – des termes pas usités à l’époque –, mais une opposition entre modérés et radicaux, entre partisans d’une République des possédants, d’un régime libéral – les Girondins –, et partisans d’une République démocratique et sociale qui considèrent que l’égalité est constitutive de la liberté, que la liberté est un lien social – les Montagnards.


Les choses sont revendiquées telles quelles au moment des faits par les parties en présence. À l’image de toute la Révolution française, c’est une guerre civile bien sûr, mais c’est une lutte des classes qui se joue – même si les leaders montagnards sont aussi bourgeois que les Girondins. Ce n’est pas « les gentils contre les méchants », ce sont deux projets politiques aux antipodes et c’est factuel – mais encore faut-il se pencher un tant soit peu sur des sources de premières mains.

J’arrive au terme de cette synthèse. Tous ces acteurs ne sont pas des hommes – les leaders oui. De nombreuses femmes sont des protagonistes importants. Qui trouve-t-on chez les Girondins ? Plus précisément, quelles sont les femmes qui soutiennent les Girondins et l’établissement d’une politique conservatrice et d’ordre social ? Madame de Staël, Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont – l’aristocrate que l’on appelle simplement « Charlotte Corday » –, Olympe de Gouges. Cette dernière ne s’est pas battue pour les femmes, mais pour celles de sa classe. Madame de Staël allait écrire longtemps après les évènements et revendiquer le mépris de classe des Girondins. « Dès lors la Révolution changea d’objet. Les gens de la classe ouvrière s’imaginaient que le joug de la disparité des fortunes allait cesser de peser sur eux. » Du côté Gauche aussi il y a des femmes, celles, par exemple, qui votent (si si) dans les assemblées primaires, dans les clubs, aux Cordeliers ou aux Citoyennes républicaines révolutionnaires, comme Pauline Léon, Louise de Keralio, Claire Lacombe, ou, Aux Antipolitiques d’Aix, Madame Rose.

Les Girondins n’emportent pas cette lutte. Le mouvement dit « fédéraliste » est éteint à l’été 1793. Les députés Girondins compromis dans cette rébellion sont jugés, condamnés et exécutés en octobre. Mais après le 10 Thermidor – exécution de Robespierre et ses amis – s’établit la Convention thermidorienne, qui prépare le lit du Directoire, régime oligarchique qui sabre l’essentiel des fondamentaux de 1789 et consacre la République représentative en opposition à ce que les Thermidoriens appellent « la Terreur », « l’anarchie », c’est-à-dire un système dans lequel « le peuple est constamment délibérant » –  la démocratie. Les Girondins reviennent alors dans le jeu politique.

Ainsi, actons deux éléments essentiels pour notre époque. Lorsque des intellectuels de Gauche, philosophes ou femmes et hommes politiques, se revendiquent des Girondins, écrivent que la « Gauche de demain sera girondine », ils parlent de ce qu’ils ne connaissent pas, ils sont ignorants des faits et camouflent leur inculture et leur méconnaissance de la période par un talent rhétorique qui peut convaincre le non initié, ou expriment sans le formuler en ces termes qu’ils sont de Droite. C’est leur droit le plus absolu ! Mais il faut le dire. Ensuite, la majorité de notre classe politique est héritière des Girondins – puis du Directoire – et poursuit leur politique.

Cédons le mot de la fin à Lamartine. Il se lança sur les traces des Girondins, tels Michel Onfray, c’est-à-dire pétris d’admiration pour eux sans savoir qui ils étaient. Lamartine prépare scrupuleusement son Histoire des Girondins (1847), œuvre monumentale en huit volumes qui doit leur être favorable. Mais Lamartine découvre la vérité ; giflé violemment il ouvre les yeux et il couche sur le papier « Les Girondins étaient parfaitement résolus à laisser subsister dans les profondeurs de la Nation toutes les iniquités. Ils voulaient changer qu’après la dictature d’un seul s’établisse la dictature de la richesse de telle sorte que la France au lieu d’avoir un seul tyran en ait maintenant plusieurs milliers. »


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


Vous pourriez aussi aimer


0 commentaire(s)


Rédiger un commentaire

Se connecter