Un devoir : reprendre le combat !

Un devoir : reprendre le combat !

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty était décapité dans les rues de France, sur le sol de la République, par un musulman fanatique. Le motif invoqué : « venger le prophète ». Souvenons-nous également du champ lexical utilisé : « exécuter un chien de l’enfer[1] ». Tout, du mode opératoire au vocabulaire utilisé, relève du crime commis par un fanatique, mais le terme n’a pas été, à ma connaissance, utilisé dans les médias. Imaginons un instant qu’un catholique se précipitât sur un enseignant à la sortie du collège dans le but de lui faire expier ce qu’il considérât comme un blasphème – l’occasion de rappeler que le délit de blasphème n’a pas droit de cité en France –, en invoquant Jésus-Christ. Imagine-t-on un seul média, fût-il – nous dit-on – de gauche évoquer l’acte « d’un déséquilibré », que l’on présenterait comme un… catholiciste ?! Tandis que l’on ne s’embarrasserait pas même d’ajouter « fanatique » après « catholique », voilà que l’on devrait substituer « islamiste » à musulman, tout en y ajoutant « radical ». Il ne s’agit pas de convictions radicales[2], mais de fanatisme, et en l’occurrence, celui-ci est islamiQUE !
 
Notre collègue Samuel Paty a accompli sa mission avec droiture, et de façon précautionneuse. Rappelons qu’il avait laissé la possibilité de ne pas regarder les caricatures de Mahomet présentées. Ici, il y aurait matière à discuter, mais notre collègue a été plus que courageux. Devrait-on être courageux, dans la France du XXIe siècle, une République laïque, en faisant le choix d’enseigner la liberté d’expression et en montrant des caricatures ?! Pourquoi est-ce que j’évoque le fait qu’il y ait matière à discuter ?

Parce que la précaution prise par Monsieur Paty démontre que l’Éducation nationale a intégré l’idée que l’on pût avoir un régime dérogatoire à l’enseignement public, sur des motifs religieux – et surtout islamiques. Dans cette configuration, va-t-on demain, en sciences de la vie et de la Terre, ou en physique, demander aux élèves « platistes », de fermer les yeux, parce que l’on travaillerait à partir d’un globe ? Devrait-on admettre que d’autres quittassent la salle de classe parce que l’on traitât de la Shoah ? L’École de la République française n’a que faire de heurter les croyances et les superstitions des uns ou des autres. Elle est là pour transmettre des savoirs, expliquer les tâtonnements de la démarche scientifique, transmettre des principes qui sont les siens, en l’occurrence ceux de Liberté, d’Égalité, de Fraternité, et la clé de voûte de l’édifice républicain en France, la Laïcité. Ces éléments sont essentiels pour façonner, pour instituer le citoyen en devenir, et pour forger l’esprit critique.

L’esprit critique a besoin, pour naître, que la conscience soit libre, et la liberté de conscience n’est pas la liberté de croyance ! Au XVIIIe siècle, Sade évoquait « l’arbre de la superstition » qui pourrait parvenir « à reprendre quelque empire sur les consciences[3] […] » Aristide Briand ne disait pas autre chose en 1905 lorsque, faisant l’apologie de la liberté de conscience à l’occasion des débats parlementaires relatifs à l’élaboration de la loi de séparation des Églises et de l’État, plus précisément à son article 34 qui prévoit des mesures d’exception, il déniait aux croyants, en l’occurrence aux catholiques, la capacité à penser par eux-mêmes[4]. Et c’est bel et bien le rôle de l’École de la République française d’apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes. Pour cela, elle doit demeurer un sanctuaire. C’est la raison pour laquelle les intégristes musulmans aujourd’hui, comme les intégristes catholiques avant-hier, ou les ligues fascistes dans les années 30, ont voulu faire de l’École un champ de bataille, puis un territoire à conquérir. Jean Zay, Ministre de l’Instruction publique du Front populaire, avait déjà exhorté les responsables d’établissement à la plus grande fermeté :

« L'enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements[5]. »

Le port d’un signe religieux ostentatoire est une expression prosélyte, un élément de la stratégie de conquête qui passe par la visibilité et qui, comme l’avait souligné John Lock, peut être « un signe de ralliement susceptible de donner aux hommes l'occasion de se compter, de connaître leurs forces, de s'encourager les uns les autres et de s'unir promptement en toute circonstance[6]. » Au-delà du constat, et à l’aune de l’agression de cette enseignante de Tourcoing agressée par une lycéenne qui refusait de retirer son voile islamique, soyons lucides : un militantisme prosélyte et fondamentalement provocateur, où ce que l’on a sur la tête est une expression de ce que l’on a dans la tête, il convient de comprendre que l’on a accepté de mettre une chape de plomb sur les enseignements et donc, sur les esprits des élèves. L’École doit-elle être une antichambre de la mosquée et d’une vision intégriste de l’islam, par exemple en taisant aux élèves, fussent-ils présupposés musulmans, que même dans l’art islamique, les représentations de Mahomet ont existé, notamment dans de superbes mosaïques persanes ? En percutant la croyance, l’élève apprend à contextualiser, à faire de la chronologie, à analyser la structuration d’un dogme, d’un culte, divisé en plusieurs courants.
 
Voile sur la connaissance, ségrégation sexuelle puis entre les croyants et les « impurs », jusque à instituer des espaces des uns et des autres au sein même des établissements scolaires. Aussi, si l’on a raison de pointer la lâcheté du ministre de l’Éducation nationale Lionel Jospin en 1989, on aurait tort de ne pas pointer celle d’un autre locataire de la rue de Grenelle, François Fillon, qui glissa sous le tapis en 2004 le fameux rapport Obin – mais qui eut le culot d’écrire Vaincre le totalitarisme islamique[7]. Gauche et droite se sont compromises avec les réseaux musulmans intégristes, en pratiquant des accommodements forts déraisonnables avec les mouvances frériste et wahhabo-salafiste.

Même Franz Olivier-Gisbert, qui n’est pas un gauchiste de la première heure, offrit des ponts d’or à Tariq Ramadan, le visage « présentable » de l’intégrisme islamique qui, en bon « réformiste », répétait à l’occasion des Printemps arabes l’importance d’accorder une place à la Charia, tandis que feu Abdelwahab Meddeb lui opposait la substitution « des institutions rationnelles qui organisent la cité dans le vivre en commun[8] ».
Revenons en France. Rappelons-nous Dominique Bernard, professeur de Lettres assassiné le 13 octobre 2023, lui aussi par un musulman fanatique. L’auto-censure exponentielle des enseignants, encore majoritaires à voter pour des familles politiques qui entretiennent l’intégrisme islamique – et s’en nourrissent – et cette dislocation de la France républicaine, la « politique » du « pas de vague », les coups de menton jamais ou trop peu suivis de coups de glaive, des formations bidons où l’on fait croire que la laïcité serait une forme de soft secularism qui consisterait à dialoguer et négocier avec l’expression religieuse, y compris la plus fondamentaliste, et c’est ainsi que nous aurions la paix – comme un parfum munichois… L’occasion de faire une brève incise dans le secteur de l’éducation populaire, où nous sommes trop peu nombreux à nous dresser contre ces lâchetés, ces revendications intégristes, trop peu nombreux à mener le combat laïque. Par ailleurs, relevons dans les formations des circuits du loisir et du sport la volonté manifestée de ne pas transmettre de connaissance ! Combien de fois ne m’a-t-on reproché d’avoir une « approche intellectuelle » ; « il faut de l’opérationnel » m’opposait-on. Ah oui ? Et sur quelles bases ? Pour quels motifs, quels objectifs, quels principes ? On a beau jeu de s’enfermer dans le champ lexical macronien en abusant du terme de « collaborateurs » quand on enferme constamment ses dits « collaborateurs » dans l’opérationnel et le « comment », en les privant de la réflexion et du « pourquoi ». Nous en étions à l’assassinat de Dominique Bernard, à l’obscurantisme et au prosélytisme jusque dans nos écoles.
 
Rien n’y a fait ; ni le combat mené par les Lumières de la Philosophie, malgré toutes les nuances qu’il peut y avoir entre un Rousseau et un Diderot, ni celui des protagonistes de la grande Révolution française. Pour ma part, me reconnaissant dans les revendications des Cordeliers, qui prirent une part active – doux euphémisme – à la déchristianisation, je n’oublie pas que même Robespierre, déiste convaincu, ne transigea avec le fanatisme. L’Incorruptible avait prévenu :

« Que la liberté des cultes soit respectée, pour le triomphe même de la Raison, mais qu’elle ne trouble point l’ordre public et qu’elle ne devienne un moyen de conspiration. Si la malveillance se cachait sous ce prétexte, réprimez-là[9]. » 

La main des républicains du XIXe siècle ne trembla guère non-plus. Ils n’hésitèrent pas à retirer les crucifix des salles de classe des écoles publiques, à imposer les principes du nouveau régime en réalisant la laïcisation de la Nation – et non des seules institutions de l’État –, en expulsant de France les jésuites ou autres congrégations religieuses interdites ! Au début du XXe siècle et à la veille de la Première Guerre mondiale, Ferdinand Buisson, qui doit se retourner dans sa tombe en voyant ce qu’est devenue sa Ligue des Droits de l’Homme, exhortait à un processus radical de laïcisation : « Mais la sécularisation n'est pas complète quand sur chacun de ces pouvoirs et sur tout l'ensemble de la vie publique et privée le clergé conserve un droit d'immixtion, de surveillance, de contrôle et de veto[10]. » Et pourtant, nous voyons des légions d’héritiers de ces grands hommes et de ces principes, jusque dans le sein de l’Éducation nationale, les trahir, renier leurs victoires historiques.
 
Rien n’y a fait écrivais-je, pas même les avertissements, les mises en garde des Franco-Algériens qui connurent la funeste « décennie noire », ni le sort des communistes iraniens après la « contre-révolution » islamique de 1979, ni même les appels des démocrates, des laïques du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, qui combattent pour la liberté au péril de leurs vies. Pas même la détermination et les larmes de sang de ces iraniennes au cœur brave qui demandent à la France de rester ce phare de lumière pour tous les libres-penseurs du monde. Pis, à l’instar des constituants frileux qui, en 1791, exposèrent les ecclésiastiques constitutionnels et les catholiques gagnés à la Révolution en tolérant le culte réfractaire, nous voyons des cohortes de lâches et de consommateurs d’eau tiède trahir les Français de confession musulmane laïques, comme l’imam Chalghoumi, isolés au milieu des intégristes et des fanatiques. 
 
« La grande affaire à venir, c’est la victoire de la loi républicaine sur le dogme religieux, des droits de l’Homme sur les droits de Dieu ! »

Ainsi s’exprimait Georges Clemenceau en… 1875 ! Quel retour en arrière néfaste ! Au-delà de la déclaration, il est nécessaire de se réarmer politiquement et culturellement. Personne ne respecte la faiblesse, il faut donc mener des actions extrêmement fermes : incarcération longue, mise à l’amende lourde, comme le prévoit déjà la loi de 1905[11], mais également fermeture des mosquées concernées par les problèmes traités, expulsion définitive des établissements scolaires, expulsions du territoire national, et attention, attention, mesures fascistes et d’extrême-droite : suppression des allocations familiales et de toutes autres aides sociales à ceux qui conspirent contre la Patrie !
 
Souvenons-nous des sages Pensées de Pascal : « La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. »
 
Jean-Baptiste CHIKHI-BUDJEIA
 


[1] Se reporter à David Di Nota, J’ai exécuté un chien de l’Enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty. Broché, 2021.
[2] Terme de politique. Qui travaille à la réformation complète, absolue, de l'ordre politique dans le sens démocratique. Le parti radical.
Substantivement. Les radicaux, un radical. Le Littré, entrée « radical ».

[3] Donatien Alphonse François de Sade, La Philosophie dans le Boudoir. Français, encore un effort si vous voulez être Républicains, 1795.
[4] Annales de la Chambre des députés, Aristide Briand, 29 juin 1905.
[5] Circulaire du 5 mai 1937
[6] John Locke, Essai sur la tolérance (1667), trad. Jean Le Clerc, Ed. Garnier Flammarion, 1992, pp 110 et 121.
[7] François Fillon, Vaincre le totalitarisme islamique, Broché, 2016.
[8] Débat dans Le Monde, 27 avril 2011.
[9] Maximilien Robespierre, Rapport du Comité de Salut Pub à la Convention nationale, séance du 18 floréal an II (7 mai 1794).

[10] Ferdinand Buisson, Dictionnaire de pédagogie de l’instruction primaire, publiée en 1887, avant d’être réédité en 1911, entrée « Laïcité ».
[11] « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice [= sans compter] des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile. » Puisqu’il est régulièrement proposé de revenir sur la loi de 1905, je propose en effet des peines d’emprisonnement et amendes bien plus lourdes.

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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