La crèche contre le ramadan ?

Si les Cordeliers sont généralement taxés ici ou là d’islamophobes, voilà que depuis quelques jours, alors que notre discours est constant, notre combat connu, l’ensemble cohérent, d’aucuns se laissent à nous dénoncer comme islamo-complaisants, voire islamo-collaborationnistes. Point de surprise pour nous, nous nous doutions d’ailleurs que cela finirait par arriver, justement au moment où nos rédacteurs et militants laïques aborderaient de front la question des crèches dans les mairies. Comme mes partenaires de combat, j’ai martelé le principe de laïcité, argumenté de façon rationnelle en m’appuyant sur la loi, l’esprit de celle-ci. Mais voilà que sans surprise, une minorité importante de ceux qui soutenaient nos positions relativement à la laïcité, principe de neutralisation de la manifestation religieuse prosélyte dans l’espace public (si si), appellent soudainement à la « tolérance » à grand renfort d’hypocrisie et de sophismes, à ne point verser dans « l’excès », voire en condamnant un « intégrisme laïque » qui leur seyait très bien il y a quelques jours encore lorsque nous alertions sur les versets coraniques généreusement partagés dans un car par son chauffeur.
Une excellente nouvelle occasion pour moi, et pour chacun d’entre nous, de rappeler que le combat que je mène aux Cordeliers n’est pas celui des nostalgiques de la France chrétienne « fille aînée de l’Église », mais celui pour la France républicaine, laïque ! Je me dois aussi de préciser, encore, notamment aux amis de Zemmour que je côtoie, que le christianisme catholique qu’ils revendiquent comme étant simplement prétendument « culturel », et, il faut le relever, revigoré par l’islam et le protestantisme à l’anglo-saxonne », essentiellement « évangélique », ce catholicisme écrivais-je, a été sécularisé au forceps, contre son gré ! Mais centrons-nous sur la question qui nous occupe.
 
La crèche, un folklore provençal ? 
Sentez-vous donc cette bonne odeur de thym et de romarin, cette mousse humide ? Ne sont-ils point beaux les Santons – ce qui signifie « petits saints » en provençal ? Il n’est nullement question d’esthétique ici, mais d’histoire, d’histoire des religions, et d’éducation religieuse. La crèche est une représentation religieuse à visée d’évangélisation, qui remonte au Moyen Âge. Que nous raconte-t-elle ? L’adoration de l’enfant Jésus, envisagé comme le fils de Dieu, le Messie en devenir, adoré par les Rois Mages, dans une étable à Bethléem. La crèche est une représentation populaire, avec ses images d’Épinal, d’un acte clé du christianisme, la Nativité. Le nier, nier son caractère sacré, en réalité divin, son essence religieuse, relève de la mauvaise foi ! Oups… Tout le folklore autour ne retirera jamais cette nature intrinsèquement religieuse, ou alors, retirons l’enfant Jésus et les Rois Mages de la crèche, n’y conservons que les bergers, l’âne et la vache. J’entends déjà les accusations, absurdes ici, de « cancelisation » ou de « wokisme ». Nous n’avons pas demandé de brûler les crèches, nous avons rappeler que leur place était à l’église, pas dans le hall de la mairie.
L’argument, ô combien éculé mais après tout pourquoi pas, de la tradition, est utilisé de longue date par les opposants à la laïcité. A la fin du XIXème siècle déjà, puis au début du XXème, Ferdinand Buisson, l’un des premiers – le premier ? – à utiliser le mot « laïcité », à lui donner une définition, lui tordait le cou, le dénonçait comme une arme brandie pour tuer la France républicaine et la laïcité ! 

Malgré les réactions, malgré tant de retours directs ou indirects à l’ancien régime, malgré près d’un siècle d’oscillations et d’hésitations politiques, le principe a survécu : la grande idée, la notion fondamentale de l’État laïque, c’est-à-dire la délimitation profonde entre le temporel et le spirituel, est entrée dans nos mœurs de manière à n’en plus sortir. Les inconséquences dans la pratique, les concessions de détail, les hypocrisies masquées sous le nom de respect des traditions, rien n’a pu empêcher la société française de devenir, à tout prendre, la plus séculière, la plus laïque de l’Europe[1].

Ferdinand Buisson nous rappelle par-là même que la laïcité précède son époque – et de facto la loi de 1905 –, qu’elle est un principe politique radical qui ne se limite pas à une définition juridique. Nonobstant, que dit la loi de séparation des Églises et de l’État ?
 
Art. 28 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions. »

Facebook et Twitter n’existaient pas en 1905, mais les sophistes oui. Ainsi, Aristide Briand lui-même, rapporteur de la loi revendiqué, à tort, par les « modérés » et les relativistes islamo-collaborationnistes, déclarait à la Chambre : 

Il convient de s’entendre tout d’abord sur la signification exacte et la portée réelle de l’article 28 [alors 26]. Je n’aurais pas cru nécessaire de fournir les explications que demandait tout à l’heure l’honorable M. Aynard, parce que j’avais pensé que la seule lecture de cet article suffirait à en dégager tout le sens

Il ajoutait :
 
 Par les termes « emplacements publics », nous visons les rues, les places publiques ou les édifices autres que les églises et les musées.
 
Il n’y a donc aucune ambiguïté ! La mairie, les conseils départementaux, les écoles même, ne sont pas un espace religieux, une annexe de salle de prière. Les prétendus vides juridiques ou les soi-disant traditions culturelles dont on se sert pour détourner la loi afin de célébrer la naissance de Jésus ici, ou de fêter le ramadan là – ce qui n’est pas plus admissible, mais non parce que ce n’est pas chrétien, mais parce que c’est cultuel –, ne sont que mensonges. Restons quelques instants sur la revendication prétendument culturelle qui fleurit ces derniers jours – et rappelons-le, dont se servent nombre d’élus pour financer des mosquées, en pleine violation de la loi ! Aristide Briand y fut lui-même confronté et force est de constater qu’il ne versa ni dans la négociation, ni dans le compromis : 

Dans notre société moderne l’art peut heureusement se manifester sous d’autres formes que la forme religieuse.

Et d’ajouter : 
 
Au surplus, si les catholiques ont une persistance pour cette forme de l’art, libre à eux de la satisfaire chez eux, dans leurs propriétés particulières ; mais qu’ils n’aient pas la prétention exorbitante d’accommoder à leur goût exclusif les rues et les places publiques qui sont à tous les citoyens français sans exception.
 
Suis-je un athée ignorant de la religion ?
La seule réponse valable devrait être « cela ne regarde que moi », la République me considérant comme un citoyen, libre de ses options spirituelles. Mais même une réponse pertinente ne peut, en l’état actuel des choses et suite à la nature de nombreux échanges que j’ai eus ces derniers temps, me permettre de me défausser.
Je suis un apostat catholique. J’ai reçu une éducation très religieuse, j’ai été très, vraiment très pratiquant. Par ailleurs, mon expérience religieuse a été au-delà de la foi et de la messe ; j’ai été très actif dans des mouvements de jeunesse catholiques, et pas comme second couteau. J’ai de fait côtoyé de très près nombre de prêtres, j’ai échangé avec des évêques et j’ai envisagé… le séminaire ! Écœuré par le catholicisme mais toujours très religieux, j’ai envisagé une conversion à l’Islam. Plus jeune, j’avais la naïveté de penser, ou plutôt de croire – on ne pense pas dans la religion, sans quoi on la quitte –, que ce monothéisme étant le plus récent dans le temps, il était nécessairement le plus moderne, le plus ouvert. Alors je m’y suis plongé pour découvrir que non seulement il n’était pas plus « démocrate » que ses deux grands frères, mais qu’en plus il était bien plus rétrograde et « réactionnaire ». C’est en connaissance de cause que j’exècre les religions, et l’Islam plus que les autres – alors ne venez pas me faire votre couplet de croisés abrutis. La religion est un poison pour l’esprit. Vous voulez croire, croyez, mais croyez chez vous et dans vos lieux de culte !

Un combat pour quelle France ?
La France compte plus de 42 000[2] églises, 42 000 pour un peu moins de 35 000 communes[3] ! Il y a dans notre pays plus d’églises que de communes, mais les cathos réacs qui n’ont jamais digéré ni la République, ni la laïcité, voudraient s’imposer de nouveau à nous. Vous avez la possibilité de réaliser 42 000 crèches, cela relève de l’opulence, c’est presque indécent lorsque l’on prétend vouloir suivre le chemin tracé par le Christ !
Je n’ai jamais souscrit à la théorie de la prétendue « tenaille identitaire », car j’ai la lucidité de faire la différence entre un catholique intégriste et un musulman fanatique, entre un nostalgique de la « fille aînée de l’Église » qui pleure parce qu’il veut, en plus de la crèche de sa paroisse et de sa maison, celle de sa mairie, et un assassin d’Allah qui décapite un professeur. Pour autant, cela ne signifie pas que je mène le même combat que le premier, qu’il n’y a pas de risques politiques. Et je ne néglige pas les évangélistes qui, gonflés aux stéroïdes anglo-saxons, aux thèses créationnistes et aux délires puritains qui portent le « wokisme », représentent une menace sectaire de plus en plus virulente et dangereuse. Oui, toutes nuances établies, les laïques mènent bel et bien un combat sur deux fronts.
Si les Français de confession catholique continuent à mener un combat d’arrière-garde, face à un véritable danger il est vrai, le fanatisme islamique ; si les Français de confession catholique, minoritaires convient-il de le rappeler[4], continuent à mettre en péril l’identité politique, nationale, à partir de caprices cultuels, ils resteront seuls avec ceux qui les flattent, les droitards qui n’ont eu de cesse de lécher les babouches des imams, d’Alain Juppé à Bordeaux à François Fillon qui enterra le rapport Obin, en passant par Édouard Philippe et « Le Havre du Savoir », sans oublier Nicolas Sarkozy et son jeu avec le CFCM. Notons d’ailleurs que même le RN, en phase de « normalisation », a adouci son approche…
Enfin, l’élément le plus important demeure la perspective historique, le rapport au temps. Le spectre des guerres de religion, de la guerre civile de religion, plane de nouveau sur la France – et notons à ce propos que les Cordeliers ne se sont pas réveillés hier. La France républicaine n’est pas un concept vide, sans sacralité, faible face au fanatisme, elle a été trahie et désarmée par des carriéristes, des lâches et des traîtres, ce qui est très différent. La laïcité est tout à la fois la clé de voûte de l’édifice national et républicain – c’est pourquoi elle est attaquée de toute part et que les problématiques dépassent cette seule question – et garante de la paix civile, elle est notre ciment politique. Jouer la carte de l’affirmation religieuse est nocif ; même la monarchie française, à qui l’on ne peut attribuer la paternité de la laïcité, loin s’en faut, comprit, pour partie, la nécessité de la primauté de l’unité politique sur l’unité de la foi. 
Ceux qui vous affirment que la laïcité est responsable de la déliquescence de la République française face à l’Islam, incapable de gérer ses offensives, se fourvoient et vous mentent. L’Angleterre est une nation chrétienne, avec une religion d’État dont la souveraine est chef ; elle est le pays le plus islamisé d’Europe ! L’Allemagne très chrétienne est tout sauf laïque, elle suit de près le chemin de l’Angleterre. Jouer la crèche contre le ramadan n’est pas une solution viable. Et pour quel avenir politique ? Qu’importe que les citoyens de cette Nation soient croyants, agnostiques ou athées, pourvu qu’ils soient d’abord des citoyens et que leur foi ne regarde qu’eux, que leur religion ne dépasse pas le parvis du temple, au besoin par la contrainte de la loi.
Par ailleurs, il est grand temps de comprendre que le christianisme est l’une des origines du problème. Le christianisme, tous courants confondus, cette religion qui vous rappelle tous les jours que l’Homme est un pécheur qui doit expier ses fautes, le christianisme, tous courants confondus, religion de la culpabilité permanente, qui vous exhorte à tendre l’autre joue, à aimer inconditionnellement votre prochain, à pardonner à votre ennemi avant de l’embrasser, nous désarme. Il nous désarme moralement, politiquement. Le Pape François, à l’image de nombre d’ecclésiastiques que j’ai côtoyé, illustre parfaitement la démonstration.
Il nous faut réinvestir le radicalisme républicain, il nous faut porter haut son ciment, sa clé de voûte, la laïcité, principe politique radical.
 
Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

[1] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3003 , voir aussi mon article pour L’Histoire à la loupe : https://lhistoirealaloupe.com/2020/12/02/9-decembre-1905-le-bloc-des-gauches-decrete-un-principe-de-combat-la-laicite/
[2]  https://www.mairesdefrance.com/m/article/?id=172#:~:text=Selon%20les%20chiffres%20publi%C3%A9s%20en,avant%20la%20loi%20de%201905).
[3] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/bis-163-le-nombre-de-communes-et-depci-fiscalite-propre#:~:text=Selon%20cette%20%C3%A9tude%20%3A,France%20compte%2034%20955%20communes.
[4] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/05/07/une-grande-majorite-de-francais-ne-se-reclament-d-aucune-religion_4629612_4355770.html 
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749/ 

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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