EDF : Plaidoyer pour la souveraineté énergétique

EDF : Plaidoyer pour la souveraineté énergétique

Une histoire électrique nationale 

L’histoire d’Électricité de France (EDF) est étroitement liée à la volonté politique de la France d’après-guerre de reconstruire et moderniser son infrastructure énergétique. Née de la volonté de reconstruire un pays ravagé par la guerre, EDF a joué un rôle central dans la modernisation, l'industrialisation et la prospérité économique de la France. Sous l’impulsion du Conseil national de la résistance, la France vote le 8 avril 1946 la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. Cette loi constitue le point de départ du marché français de l’énergie que nous connaissons encore aujourd’hui et entérine une stratégie d’affirmation de souveraineté et d’indépendance visant à assurer des moyens énergétiques continus, durables et bon marché. 

Une étape fondamentale dans le marché français de l’énergie a été le développement de l’énergie nucléaire. Cette politique fut initiée par le Général de Gaulle en octobre 1945, lorsqu’il créa le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), déjà convaincu que l’énergie d’avenir allait être le nucléaire civil. Évidemment, la question climatique rend rétrospectivement raison à cet instinct visionnaire du Général de Gaulle, puisque l’énergie nucléaire est peu émettrice en carbone. Mais l’objectif était évidemment en premier lieu d’assurer l’indépendance énergétique du pays, dans un contexte d’interdépendance croissante des économies nationales, et de trouver une alternative à la faible production d’hydrocarbures sur le sol national.

EDF a lancé la construction du premier réacteur en 1957 à la centrale nucléaire de Chinon. Mais c’est surtout à la suite de la guerre du Kippour, élément déclencheur de la première crise pétrolière de 1973, et afin de sécuriser son approvisionnement électrique, que la France décida de développer largement son propre parc nucléaire. Dans les années 1970 et 1980, la France a produit 54 réacteurs d’une puissance totale cumulée de 55 GW, pour un coût total équivalent à 65 milliards d’euros d’aujourd’hui. Depuis, entre 70 et 75% de l’électricité française est produite par des centrales nucléaires, faisant de la France l’un des pays du monde les plus dépendants de cette source d’énergie.

Mais, aujourd'hui, cette grande entreprise publique qu’est EDF – je dirais même ce fleuron national – fait face à une série de défis sans précédent, exacerbés par des décisions politiques et économiques de court terme qui semblent favoriser des intérêts privés plutôt que le bien public.

Les traités européens et l'illusion du libre-échange

Au cœur de cette débâcle, les traités européens ont joué un rôle non négligeable. Depuis l'Acte Unique Européen en 1986, l'UE a poussé à l'ouverture des marchés nationaux à la concurrence. Cette concurrence, présentée comme un vecteur de croissance et d'innovation, a souvent eu l'effet inverse. En effet, la mise en concurrence d'EDF avec des acteurs privés a eu pour conséquence directe une fragilisation de notre champion national. Et tout cela pour quoi ? Pour permettre à des entreprises privées de s'implanter sur le marché français et d'en tirer les bénéfices sans pour autant produire de l'énergie.

EDF est ainsi considérée comme l'acteur historique, tandis que des entreprises comme Direct Énergie, Poweo ou encore Engie (anciennement GDF Suez[1]), sont considérées comme les fournisseurs alternatifs. Mais dans les faits, si EDF conserve une position dominante, puisqu’elle produit entre 70 et 75 % de l’électricité française grâce à son immense parc nucléaire, elle est la seule entreprise productrice d'électricité, et elle est contrainte de revendre à bas prix entre un quart et un tiers de sa production électrique à ses concurrents. 
 
La loi NOME : le début de la fin ?

La loi du 7 décembre 2010 sur la Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité, dite loi « NOME », est à ce titre un exemple marquant du manque de courage et du sens de l’État de nos dirigeants politiques face à ces deux acteurs que sont l’Allemagne et l’Union européenne. Cette loi a profondément remanié le paysage énergétique français en ouvrant le marché de l’électricité à la concurrence. L'objectif affiché était de créer un marché intérieur de l'électricité compétitif au niveau européen et d’appliquer partout les sacro-saints principes du droit européen de la concurrence. En fait, il s’agissait surtout d’étrangler ce qui constituait alors une des entreprises les plus profitables de l’époque. Cet avantage comparatif d’EDF par rapport à ses concurrents était inacceptable pour les milieux économiques et politiques européens, notamment allemands. 

L'ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), appliqué depuis juillet 2011 dans le cadre de cette loi, oblige EDF à revendre jusqu'à 100 TWh de sa production nucléaire à d'autres fournisseurs. Le plus déroutant est le profil des bénéficiaires de cette électricité à bas prix. Ce ne sont pas des producteurs, des spécialistes de l’énergie, mais des intermédiaires financiers : Henri Proglio, ancien patron d’EDF, disait même qu’on avait « fait la fortune de traders, pas d’industriels » lors d’une audition devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022. Ce sont des entreprises qui se contentent d'acheter bas et de vendre haut, sans contribuer réellement à la chaîne de valeur de l'énergie, et surtout sans produire ne serait-ce qu’un kilowattheure d’électricité. Nous sommes dans une situation ubuesque où une entreprise nationale, élément fondamental de la souveraineté énergétique, d’une grande profitabilité continue depuis sa création - qui a permis la constitution d’un comité d’entreprise parmi les plus généreux du monde -, se retrouve endettée jusqu’au cou parce qu’elle doit faire la fortune de quelques traders.

Les règles de calcul de l'ARENH  

Le montant de l’ARENH est calculé en fonction des coûts d’exploitation, qui incluent tous les frais associés à l’opération des centrales nucléaires d’EDF, tels que les coûts du personnel, de l'énergie nécessaire pour le fonctionnement des centrales, et des matières premières requises pour la production d’électricité. À ces coûts s'ajoutent la rémunération des capitaux, reflétant le retour sur investissement d'EDF dans ses centrales, y compris les coûts de construction et de financement. Le calcul intègre également les coûts des investissements de maintenance et les dépenses nécessaires pour prolonger la durée de vie des centrales, ainsi que les coûts prévisionnels liés aux obligations à long terme d’EDF, comme le démantèlement des centrales en fin de vie et la gestion des déchets nucléaires. 

Chacun de ces éléments contribue à déterminer le prix final de l'ARENH, fixé en 2024 à 42 € / MWh pour un volume de 100 TWh, avec une augmentation à 46,2 € / MWh pour 20 TWh supplémentaires sous le dispositif ARENH+. Ce processus, supervisé par la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE) et approuvé par le ministère de l'Économie, vise à assurer que le prix reflète de manière précise les coûts réels de la production d'électricité nucléaire.

Vers une fin de l'ARENH en 2025 : enfin une bonne nouvelle ?

Toutefois, l'ARENH, depuis sa création, a posé plusieurs défis à la survie d'EDF. Ce dispositif obligeait l'entreprise à vendre de l'électricité à un tarif inférieur à ses coûts de production, ce qui a eu un impact négatif sur sa rentabilité. En particulier, le tarif fixé par l'ARENH était considérablement plus bas que les coûts réels engendrés par la production d'électricité nucléaire. Cette situation a limité la capacité d'EDF à réaliser des bénéfices adéquats sur ses investissements dans le secteur nucléaire, ce qui a entravé le financement de ses opérations courantes et de ses projets futurs. De plus, EDF faisait face à des pressions financières accrues, exacerbées par les coûts associés aux problèmes de corrosion dans ses centrales et aux investissements nécessaires pour la maintenance et la construction de nouveaux réacteurs EPR2.

La fin de l'ARENH en 2025 représente donc une véritable aubaine pour une renaissance d'EDF, affaiblie par des années de lâcheté politique. En effet, endettée à hauteur de 64,5 millions d’euros selon les résultats annuels de 2022, l'entreprise se trouve dans une situation délicate. Avec la transition vers un nouveau système tarifaire où le prix de référence est fixé à 70 € / MWh, EDF pourra vendre de l'électricité à un prix plus en phase avec ses coûts de production et d'investissement. Cette modification tarifaire est cruciale pour améliorer la situation financière de l'entreprise. En anticipant une hausse significative de la production d'énergie nucléaire à 400 TWh par an à partir de 2026, EDF s'oriente vers une amélioration de sa rentabilité. Par ailleurs, la fin de l'ARENH ouvrira la voie à la création de contrats de long terme, notamment avec les grands consommateurs industriels, ce qui permettra à EDF de sécuriser ses revenus et de relancer ses investissements.
 
Une solution pour le futur : souveraineté et respect de l'environnement

Dans ce contexte, une vision claire et audacieuse s'impose. Pour reprendre le contrôle de notre destin énergétique, plusieurs étapes sont nécessaires. Tout d'abord, il est impératif de définitivement sortir du dispositif de l'ARENH et d’abroger cette loi NOME, qui est à la fois inique, antinationale et inefficace. Nous devons renationaliser totalement EDF, spolier les fournisseurs alternatifs qui se sont gavés sur le consommateur français, en somme rétablir un service public de l’électricité semblable à ce qu’il était encore dans les années 90. Une telle politique nationale courageuse et patriotique est la condition même de notre souveraineté énergétique. 

Ensuite, face à l'urgence climatique, le nucléaire apparaît plus que jamais comme une solution viable. Contrairement aux idées reçues, le nucléaire est l'une des sources d'énergie les plus propres. Les centrales nucléaires françaises émettent très peu de CO2 comparées aux autres sources d'énergie. C'est une solution à la fois écologique et économique. Les Allemands, qui ont fait le choix du tout renouvelable, s’en mordent aujourd’hui les doigts, devant rouvrir des centrales thermiques à flamme (généralement à charbon ou à gaz) pour assurer la continuité de l’alimentation électrique. En effet, les énergies renouvelables, qu’il s’agisse des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes, sont intermittentes et ne peuvent produire de l’énergie en continu. Elles sont de fait inadaptées aux besoins d’une société moderne. 

Enfin, le parcours d'EDF, de sa création à aujourd'hui, est emblématique des choix stratégiques, parfois erronés, que la France a pu faire en matière énergétique. L'enjeu aujourd'hui est double : permettre à la France de retrouver sa souveraineté énergétique tout en répondant aux défis climatiques actuels. Pour cela, une refonte complète de notre politique énergétique s'impose, mettant en avant le nucléaire comme pilier central de notre stratégie, et refaisant d’EDF et GDF des fleurons nationaux opérant sous le giron de l’État afin de garantir une énergie abondante et bon marché, des prix faibles pour le consommateur, et une indépendance totale vis-à-vis de pays exportateurs d’hydrocarbures comme la Russie. 


[1] La fusion entre Gaz de France et Suez est issue d’un projet ouvertement soutenu en 2006 par le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin. Pour permettre la fusion, la loi relative au secteur de l’énergie prévoyait la privatisation de GDF. Politiquement, l’opération était vendue sous couvert de patriotisme économique, par la formation d’un nouveau géant français de l’énergie. En vérité, c’est une opération qui a surtout largement enrichi quelques milliardaires, au détriment de l’intérêt des Français, dont les factures de gaz ont depuis explosé. 

Marc Lassort

Marc Lassort est à la fois le directeur de publication, le co-fondateur et le développeur du site des Cordeliers. Économiste et politiste de formation, il est passionné de l'histoire de la Révolution française et de l'Empire. Fervent patriote, républicain, laïque et anticlérical, il est convaincu de la nécessité d'écraser l'infâme, selon le mot de Voltaire.


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