27 juillet 1794, Robespierre décrété d’arrestation : le « parti » démocrate est épuré

27 juillet 1794, Robespierre décrété d’arrestation : le « parti » démocrate est épuré

De tous les protagonistes de la Révolution française, Maximilien Robespierre est probablement à la fois le plus célèbre et le plus méconnu du grand public. Avocat, député de la Constituante et de la Convention, membre du Comité de Salut public, Jacobin emblématique, il fut un acteur politique de premier plan, d’une popularité – nationale – que, peut-être, seul Jean-Paul Marat égala. Porte-voix institutionnel du « parti démocrate », architecte d’une République démocratique et sociale, opposant à la guerre offensive et à la peine de mort (si si), il est très vite la cible des royalistes puis des « modérés », décrit comme un « buveur de sang », un « anarchiste », ou encore un jouisseur – cet article vous réserve quelques surprises. Nombre de ceux qui expriment aujourd’hui leur opinion de Robespierre dans les médias ou se risquent parfois à écrire des contre-vérités historiques, sans même être historiens, n’ont jamais lu les discours de cet homme que même ses ennemis surnommèrent « l’incorruptible », régulièrement isolé, et menant un combat sans relâche pour l’égalité. Retour synthétique sur le parcours hors norme de celui qui conçu la devise républicaine, « Liberté Égalité Fraternité » et dont Camille Desmoulins disait de lui qu’il était « le commentaire vivant de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » (Leuwers) !

Origine et formation

Maximilien naît en 1758 dans une famille de la bourgeoisie d’Arras, dans la province d’Artois. Il est issu d’un milieu composé essentiellement de robins. On voit parfois écrit Maximilien « De Robespierre ». Ici, la particule ne désigne nullement un quelconque trait de noblesse ; l’usage est courant chez les hommes de loi du XVIIIème siècle, pour des raisons évidentes. Ainsi, Georges Jacques Danton écrirait aussi son nom « D’Anton ». Robespierre perd ses parents alors qu’il est encore jeune, ce qui ne fait pas figure d’exception en ces temps-là – sa mère meurt en couche et son père abandonne les trois enfants : Maximilien a une sœur, Charlotte – qui allait écrire ses mémoires – et un frère, Augustin, amené à jouer un rôle pendant la Grande Révolution. Il est éduqué dans un milieu très catholique.


Robespierre est par la suite boursier au prestigieux Collège Louis Le Grand – à partir de 1769. Une bourse d’études pour les pensionnaires de province, dans ce royaume de France alors encore régi par une monarchie absolue puissante et un système féodal ancestral, atteste la reconnaissance d’un potentiel intellectuel très prononcé – les boursiers sont recommandés par leurs institutions provinciales, pour Robespierre, les Oratoriens d’Arras. Comme tous les Hommes du XVIIIème siècle, Robespierre reçoit une instruction « classique » : les grands Anciens, l’Antiquité – grecque et romaine – sont prégnants.


Il écrit et parle donc le latin. Évidemment, cette formation portée sur l’Antiquité allait jouer un rôle déterminant dans la pensée de Robespierre : les philosophes perçus comme vertueux, et notamment ceux de la République romaine – Cicéron bien sûr, Caton – sont des référents essentiels. À cela s’ajoutent évidemment les idées du siècle : Le XVIIIème siècle est celui des Lumières et des combats de Diderot – qui porte presque seul L’Encyclopédie pendant 25 ans –, de Voltaire, qui s’est dressé contre l’intolérance religieuse – pensons notamment à « l’affaire Calas » – ou encore de Montesquieu – qui, en usant de l’ironie, a fustigé l’esclavage. Pour ces philosophes, « chaque chose du monde doit être éclairée par les Lumières de la Raison » : ils ébranlent la religion, convoquent la rationalité, s’attaquent à l’absolutisme et à la féodalité. Les Robespierre ou Desmoulins – qui se rencontrent d’ailleurs à Louis Le Grand – sont particulièrement sensibles à ses idées nouvelles – Desmoulins allait se montrer bien plus radical que Robespierre, notamment dans ses charges anti-catholiques. Cependant, deux philosophes marqueraient plus que d’autres la pensée politique de Maximilien Robespierre ; il y a d’abord Mably, aujourd’hui oublié du grand public. Mably, qui est l’un des théoriciens du « droit naturel », écrit notamment dans son De la législation, ou Principes des lois, « Vous parlerai-je de la mendicité, qui déshonore aujourd’hui l’Europe, comme l’esclavage a autrefois déshonoré les républiques des Grecs et des Romains ? » Mais c’est bien entendu le Genevois Jean-Jacques Rousseau qui marque l’influence la plus évidente de ce qui deviendrait la pensée et l’action robespierristes. L’auteur du Contrat social établit un système où l’égalité est fondamentale et la liberté pensée comme un lien entre les individus.

Robespierre est licencié en Droit. À l’issue de ses études, alors qu’il a la possibilité d’exercer à Paris, il retourne à Arras et se fait enregistrer au barreau ; nous sommes alors en 1782. Cet attachement aux territoires et à l’idée que la capitale n’est pas seule décisionnaire, en fait, cette volonté d’exercice politique local, serait, nous le verrons, un élément important de la politique de Robespierre et des Jacobins. Le jeune avocat, qui s’intéresse à la vitalité intellectuelle de l’Artois, est agrégé de l’Académie d’Arras en 1783 (Mazauric).

L’avocat engagé élu aux États-Généraux du Royaume

Robespierre devient rapidement un avocat connu et reconnu, qui n’hésite pas à prendre ouvertement fait et cause pour les grands principes du siècle. Il réalise un coup d’éclat avec ce que l’on retiendrait comme « l’affaire du paratonnerre ». En 1780, Vissery de Bois-Valé, qui semble-t-il s’intéresse aux travaux de Franklin sur l’électricité, installe sur le toit de sa maison de Saint-Omer un paratonnerre. La chose inquiète les habitants, ils y voient un grand danger. En ce XVIIIème siècle où l’obscurantisme a grandement reculé et au cours duquel le coup de grâce n’est pas loin de tomber, l’affrontement judiciaire entre un homme éclairé et des habitants qui perçoivent dans le paratonnerre un objet diabolique, a un retentissement hors-norme. C’est finalement le jeune Robespierre qui assure la défense de Bois-Valé. Ses Plaidoyers pour le Sieur de Vissery de Bois-Valé adressés aux échevins de Saint-Omer, qui avaient ordonné la destruction du paratonnerre, frappent par la puissance des arguments de l’avocat ; à l’orée d’un sens aigu de la justice, qu’il veut aussi éclairée, résolument moderne, et de la pensée rationaliste des Lumières, Robespierre apparaît comme l’un des héritiers des philosophes. Le jugement des échevins de Saint-Omer est cassé par le conseil de la Province d’Artois : le 31 mai 1783, Robespierre remporte une victoire décisive.


En juin de la même année, Le Mercure de France écrit « M. de Robespierre, jeune avocat d’un mérite rare, a déployé dans cette affaire, qui était la cause des sciences et des arts, une éloquence et une sagacité qui donnent la plus haute idée de ses connaissances. »


Les témoignages sur l’éloquence de Robespierre sont pléthores – ses opposants posthumes ont dû oublier de les analyser. De surcroît, Robespierre se fait connaître comme l’avocat des pauvres : ses idées sociales avancées et sa défense des plus humbles, associées à la critique virulente du système judiciaire – que Louis XVI entend réformer contre la volonté des Parlements de Province – en font un homme très populaire dans sa ville d’Arras et en Artois. Il est déjà dans la lumière. C’est tout naturellement qu’il élu pour représenter la ville au bailliage afin de porter les députés aux États-Généraux du Royaume convoqués par le Roi. Robespierre est désigné le 20 avril 1789 pour être des huit qui représenteraient le Tiers-États artésien. Si évidemment il n’est pas alors l’une des voix les plus tonitruantes – les yeux et les oreilles se portent sur l’impressionnant député du Tiers-État d’Aix, le comte de Mirabeau –, il est néanmoins l’un des plus engagés dans ce que l’on appelle alors « le parti patriote » ou « parti national » (Leuwers). En effet, le Tiers et le bas-clergé, soutenus par une infime partie de la noblesse, sont favorables à un grand bouleversement et, dès le 14 juillet 1789, à la Révolution qu’ils portent – mais tous ne voudraient pas la même. Ces protagonistes, élus ou électeurs, sont appelés « les patriotes », c’est-à-dire ceux qui défendent – puis combattent pour – la liberté – notion qui reste à définir. Ils crient « vive la Nation », celle-ci étant l’émanation du Peuple, le bien commun. Robespierre est de ceux que l’on appelle les « patriotes prononcés » – nous y reviendrons. Il rejoint donc le club le plus avancé alors, le « club des Bretons », qui allait agréger en son sein nombre de patriotes, notamment des députés. À l’issue des journées d’octobre 1789, aux cours desquelles les femmes de Paris accompagnées par la Garde Nationale contraignent la famille royale à quitter Versailles pour Paris, le « club des Bretons », la Société des Amis de la Constitution, a migré également et s’est installé au couvent de la rue Saint-Honoré à Paris, dans la bibliothèque des Jacobins. Dès lors, « Jacobin » deviendrait un sobriquet royaliste – qu’ils reprendraient à leur compte – porté contre ces sociétaires, désignant un homme favorable à la Révolution. Entre-temps, celle-ci avait justement commencé et les États-Généraux n’étaient plus, ils avaient cédé la place à l’Assemblée Nationale.

Député de la Constituante et Jacobin
L’objet n’est pas ici de faire l’analyse des événements depuis que le Tiers s’était déclaré « Assemblée Nationale » – le 17 juin –, mais de comprendre comment Maximilien Robespierre se positionne au sein de cette nouvelle donne politique, et notamment dans la chambre Constituante, laquelle est majoritairement conservatrice. Effectivement, même les élus du Tiers sont, dans leur immense majorité, favorables à une réforme libérale de la Nation et de fait, entendent mettre fin à la Révolution le plus rapidement possible. Les Lameth, Barnave, Mounier – qui démissionnerait vite – ou encore Siéyès, qui fait un revirement à 360 degrés, entendent que la bourgeoisie parlementaire monopolise les prérogatives arrachées à la noblesse. Mais le mouvement populaire, les artisans des villes et les cultivateurs, majoritaires dans le pays, entendent eux, mener la Révolution à son terme. S’ils ont de nombreux porte-voix dans la presse – Marat ou Desmoulins –, ils en ont peu à l’Assemblée Constituante. Robespierre est de ceux-là, de ceux que l’on appelle les « patriotes prononcés » – c’est-à-dire les démocrates. Il est alors très proche de Jérôme Pétion. Évidemment, le bloc patriote – conservateurs et démocrates réunis – a obtenu quelques victoires : les « aristocrates » et les monarchiens ont échoué à imposer une deuxième chambre – souhaitée par Louis XVI –, une « chambre haute » qui pourrait contrecarrer les lois proposées par les élus de la Nation – si vous cherchiez les origines du Sénat… Le

 veto absolu au roi a également été mis en échec. Mais les victoires sont en demi-teinte : si les privilèges sont abolis le 4 août 1789, les droits féodaux ne sont que déclarés rachetables ; la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen votée le 26 août est un compromis, lequel pose cependant un socle extrêmement solide ; le roi bénéficie d’un veto suspensif qui lui permet de s’opposer sur deux législatures aux lois proposées, quelles qu’elles soient – et il allait en user abondamment. Robespierre, qui siège à la Gauche de la Gauche, va porter, souvent bien seul, une voix dissonante pour défendre, contre vents et marées, la démocratie.

Robespierre place la Déclaration des Droits de l’Homme au cœur de sa pensée et de son action politique. Cette position centrale n’allait jamais bouger au cours des cinq années d’engagement révolutionnaire du député d’Arras – même si l’homme, pragmatique, évoluerait sur la façon de les imposer. Certes, il n’est fait qu’une seule fois mention de l’égalité dans cette déclaration de 1789, dans son article 1er ; cependant, elle la pose en droit inaliénable. La liberté, l’égalité, la liberté de culte – pour peu qu’elle ne contrevienne pas à l’ordre publique –, la présomption d’innocence, sont garanties désormais par une Déclaration, de facto la Déclaration est pour Robespierre – et le mouvement populaire et démocrate – la boussole à suivre.


En octobre 1789, l’Assemblée comprend que l’insurrection et la Révolution populaire imposent un rythme. Elle vote donc la loi martiale, qui permet aux officiers municipaux, après avoir brandi le drapeau rouge, de faire ouvrir le feu sur la foule. Robespierre s’y oppose, en vain. Il estime par exemple que l’on ne règle pas les émeutes de la faim en tirant sur des foules affamées. Son opposition au veto royal se justifie en ce sens que le monarque, qui n’est plus le souverain – le souverain est le peuple –, peut freiner, voire sabrer, la Révolution. Ce veto, même « suspensif », remet un trop grand pouvoir non seulement à un seul, mais aussi et surtout à un exécutif, qui le centralise contre le législatif – qui lui est collectif. Vous l’aurez compris, Robespierre, comme tous les « Jacobins de Gauche » (Guilhaumou), est farouchement opposé à la centralisation du pouvoir exécutif ! Par ailleurs, de 1789 à 1794, l’œuvre révolutionnaire, s’appuyant essentiellement sur le tentaculaire réseau DES clubs jacobins, répartis dans toute la France, consiste en la décentralisation administrative et politique, et c’est particulièrement prégnant au cours des années… 1793-1794, c’est-à-dire au moment où les Jacobins sont hégémoniques – nous y reviendrons !

L’année 1790 n’est pas celle, comme on a tendance à le lire et à l’entendre parfois, de l’harmonie et de l’union entre les « patriotes ». Bien au contraire, les dissensions sont criantes, les divisions entre conservateurs et démocrates béantes, chacun posant ses pions et observant l’adversaire. Il faut à cela ajouter une contre-révolution très bien organisée et violente – massacres de Montauban, de Nancy, de Carpentras, ou encore tentative mise en échec à Aix par l’action des Antipolitiques, plus tard affiliés aux Jacobins. Au cours de cette année 1790, l’abbé Sieyès, celui-là même qui avait écrit Qu’est-ce que le Tiers-État ?, propose une division des citoyens en deux catégories, suggérant une césure entre les droits naturels, dits « passifs », et les droits politiques, dits « actifs ». Robespierre fulmine et s’oppose avec force au suffrage censitaire : c’est son célèbre « discours sur le Marc d’argent » (25 janvier 1790). S’appuyant sur le premier article de la Déclaration de 1789, le député combat en première ligne et développe son argumentaire de façon étayée. Deux des points sont particulièrement éclairants de la pensée de Robespierre :

« 1° La loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peut concourir à sa formation ? Non. Cependant interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d’ouvriers le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l’Assemblée législative, qu’est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangère à la formation de la loi ? Cette disposition est donc essentiellement anti-constitutionnelle et anti-sociale.
2° Les hommes sont-ils égaux en droits, lorsque les uns jouissant exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membres du corps législatif, ou des autres établissements publics, les autres de celle de les nommer seulement, les autres restent privés en même temps de tous ces droits ? Non ; telles sont cependant les monstrueuses différences qu’établissent entre eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou passif, moitié actif, ou moitié passif, suivant les divers degrés de fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées d’imposition directe ou un marc d’argent ? Toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles, anti-sociales. »


Ainsi, Robespierre, qui regretta que dans un tel système, foncièrement inégalitaire, même Rousseau n’eût été éligible, affrontait ce que Marat appelait « l’aristocratie des riches ». Il souligne ici l’inconstitutionnalité de la loi. Seul le talent doit prévaloir, et c’est la raison pour laquelle Robespierre appelle à une instruction massive du peuple, invite les ouvriers à comprendre que leur situation d’indigence n’est pas le fait du seul prisme économique – oui, la Gauche a bien changé depuis Robespierre, … Par ailleurs, les clubs jacobins du pays, et particulièrement dans le Midi méditerranéen, à Marseille et à Aix, allaient se mobiliser contre ce qu’ils appelaient « les décrets anticonstitutionnels » et porter des projets d’éducation populaire, axant les priorités sur l’instruction « primaire » pour les enfants des couches modestes, en exerçant des pressions sur les municipalités, souvent conservatrices – des vilains ces jacobins. L’historien Jacques Guilhaumou évoque, dans le cadre de cette démarche jacobine, « l’acte de faire parler la loi ». Il faut comprendre que Robespierre et les clubs Jacobins – plus ou moins démocrates en fonction des localités – estiment que la Déclaration des Droits de 1789 vaut loi et sert de préambule à la Constitution en train d’être établie.

Aussi, Robespierre défend la citoyenneté pour les comédiens, pour les juifs, soutient les revendications avignonnaises de réunion à la France, la liberté des hommes de couleur et des esclaves noirs – ici, il est en adéquation avec le girondin Brissot, l’un des fondateurs de la Société des Amis des Noirs, ou de la conservatrice Olympe de Gouges. La question de l’abolition de l’esclavage n’est donc pas alors un facteur de division entre conservateurs et démocrates. En revanche, ces abolitionnistes font face à un lobby colonial esclavagiste puissant, protégé par la cour, et qui retarderait de prêt de cinq ans l’abolition de l’esclavage, et ce malgré les mouvements de révoltes fréquents dans les colonies.

Robespierre défend aussi l’égalité de tous dans l’accès aux charges publiques, y compris dans la Garde Nationale (discours de décembre 1790). À cette occasion, alors que son ami Camille Desmoulins a été le premier à poser les principes « Liberté Égalité Fraternité » dans cet ordre précis, Maximilien Robespierre en fait une devise. L’historien Hervé Leuwers écrit : « L’idéal se résume en une formule au destin exceptionnel, qu’il propose d’inscrire sur les poitrines et les drapeaux des gardes nationaux : ‘’Le peuple français, et au-dessous : liberté, égalité, fraternité.’’ Liberté, égalité, fraternité. Trois mots, qui se marient aux trois couleurs du drapeau national. Dans la pensée du siècle, ils sont parfois associés, chez Fénelon, Mably ou Voltaire, mais aucunement juxtaposés comme ici. »

Ses prises de positions et ses exigences démocratiques très fortes valent à Robespierre d’être l’une des cibles privilégiées des royalistes, mais aussi des conservateurs. On le dit « anarchiste » – au XVIIIème siècle, « anarchiste » et « démocrate » sont synonymes, le premier étant péjoratif –, il représente une menace pour l’ordre social établi. Son nom, difficilement prononçable, est réinvesti contre lui ; ainsi, on prétend que le député démocrate est descendant de Robert Damiens, qui tenta d’assassiner Louis XV. On l’accuse d’être un buveur de sang, pourtant, non seulement Robespierre ne théorise pas pour l’heure la nécessité de la violence révolutionnaire – contrairement à Marat –, mais en plus il exige… l’abolition de la peine de mort ! Ceux qui l’accusent d’être sanguinaire s’y opposent – l’abolition n’est donc pas votée. Effectivement, Robespierre estime qu’en matière criminelle, pour les prisonniers de droit commun, la peine de mort est inutile. Il affirme avec conviction que de nombreuses mesures pénales, à commencer par l’incarcération pour protéger la société, en dispensent l’usage. Pour les opposants à la violence révolutionnaire, les porteurs d’accusation de l’ordre de « sanguinaire », exercer la violence et se livrer au massacre n’est ni un vice ni même condamnable quand ceux-ci sont tournés contre les patriotes, et ce comme c’est quasi incessant jusqu’en… 1793. En décembre 1790 justement, l’avocat aixois Pascalis, qui conspire avec la contre-révolution organisée à Nice, prépare un bain de sang contre la population aixoise. Il peut compter sur l’appui notamment du Marquis de Guiramand, qui est tellement sûr du coup qu’il n’hésite pas à s’en vanter publiquement. L’inaction des corps élus et le stationnement dans la ville du régiment de Lamark, convaincu « d’aristocratie », sont des invitations au passage à l’acte. Le 12 décembre, les officiers du régiment tirent sur la foule, mais celle-ci est appuyée par le très populaire – au sens sociologique du terme – club des Antipolitiques, qui partage les convictions sociales de Robespierre. Le massacre de la foule est évité, la violence contre-révolutionnaire a été retournée contre ceux qui en faisaient usage. Pascalis et Guiramand sont pendus sur le cours – le premier était protégé par la Justice et la municipalité modérée. L’affaire a un retentissement national ! Revenons-en à Robespierre. Il entretient un lien fort avec les Artésiens – plus tard, lorsqu’il serait élu à la Convention, il écrirait les Lettres de Maximilien Robespierre à ses commettants. Le député estime qu’il doit rendre compte de son action. Ses positions sont d’ailleurs sans ambiguïté : Robespierre, à l’instar de la majorité des révolutionnaires, n’est pas républicain ! Il entend faire la Révolution avec le Roi. Nourri de la philosophie de Montesquieu, il estime qu’une monarchie peut être considérée comme une Res Publica pour peu que la souveraineté appartienne à la Nation – donc au corps de tous les citoyens, au Peuple – et non au monarque. Ainsi, il ne participe pas à la pétition du très démocratique club des Cordeliers, lequel pétitionne sur le Champ-de-Mars le 17 juillet 1791. En effet, suite à la fuite de la famille royale, arrêtée à Varenne en juin, la duplicité du couple Louis XVI / Marie-Antoinette ne fait plus aucun doute. Les Girondins sont alors gagnés au républicanisme. Pour autant, le club des Jacobins, qu’ils dominent alors, annule sa pétition. Les Cordeliers la maintiennent et la défendent sur le Champ-de-Mars ; ni les Girondins, hostiles au peuple, ni Robespierre, non encore républicain, et attaché à la nouvelle Constitution, malgré ses réserves – il entend la dépasser – ne s’y rendent. La Fayette et Bailly, dans le cadre de la loi martiale, font tirer sur la foule – on oubliera généralement de vous en parler dans les ouvrages scolaires. La césure entre la bourgeoisie modérée et le mouvement populaire, radical, est définitive.


Enfin, Robespierre s’oppose au cumul des mandats, qu’il veut courts, afin de permettre à chaque citoyen d’avoir l’honneur de représenter la Nation. Le 18 mai 1791, il fait adopter le décret interdisant l’éligibilité des députés constituants pour la magistrature suivante : la Législative (Mazauric).


Il pouvait être sûr d’avoir gain de cause cette fois-ci, chaque « parti » voulant éliminer l’autre. Ainsi, Robespierre se sort lui-même du jeu électoral pour une mandature, alors même qu’il aurait été largement réélu. Effectivement, il a noué de nombreux liens avec les patriotes de province, notamment dans le Sud-Est. En deux ans, le député de l’Artois, l’un de ceux qui comptabilisent le plus de prises de parole à l’Assemblée, est devenu l’homme politique démocrate le plus populaire du pays. Le 30 septembre 1791, Robespierre et Pétion, « les députés sans tâche », sont accueillis triomphalement par le peuple (Leuwers).

La tribune des Jacobins

Robespierre n’est plus à l’Assemblée mais il demeure un protagoniste politique important. Il est appelé à occuper des fonctions au tribunal criminel de Paris. À son retour d’Arras en novembre 1791, la tribune des Jacobins lui est acquise – ce qui ne signifie pas qu’il y est majoritaire. À travers elle, il se fait le défenseur de la Constitution de 1791, la première de toute l’Histoire de France. Certes, elle lui paraît insuffisante, elle est bien moins ambitieuse que la Déclaration de 1789, déjà de compromis, et beaucoup moins que les exigences démocratiques portées par des personnalités comme Marat ou Desmoulins, mais également Pauline Léon, Louise de Keralio, les Cordeliers parisiens, ou encore les Antipolitiques d’Aix et de Pertuis. Pour l’heure, il faut compter avec elle. Le réseau jacobin la défend âprement, par adhésion – l’aile droite – ou pour les mêmes raisons que Robespierre – les « Jacobins de Gauche ». Rappelons que les clubs Jacobins s’appellent les Sociétés des Amis de la Constitution. La mouvance jacobine a connu une division importante à l’été 1791 après la première destitution de Louis XVI et le massacre du Champ-de-Mars. Les monarchiens qui y restaient encore ont fait scission et ont fondé le club des Feuillants. Les Feuillants sont, en cette fin 1791, au gouvernement, et ils sont sur le point de tomber. Par ailleurs, les Jacobins sont à la veille d’un nouveau risque de division.


Le courant qui domine alors le réseau regroupe les Girondins – oui, les Girondins sont Jacobins ! Leurs caractéristiques ? Ils sont fervents partisans de la liberté absolue de commerce et ouvertement bellicistes. Et c’est précisément sur la question de la guerre que les Girondins et quelques-uns des futurs Montagnards se déchirent.


Brissot, le chef de file des Girondins – on les appelle d’ailleurs « les Brissotins », Cf. mon article du 2 juin dernier sur les Girondins – déclare même, « La guerre est indispensable à nos finances et à la tranquillité intérieure. » Il s’agit donc pour les Girondins, sous couvert de libérer les peuples européens de leurs tyrans, de mener une guerre de rapine. Si la majorité des Jacobins est, pour l’heure, gagnée à la ligne girondine, c’est surtout dans l’idée de mener une « guerre préventive ». En effet, tout le monde en Europe a alors conscience que la guerre aura lieu. La question n’est pas « si », ni même simplement « quand », mais « qui prendra l’initiative de l’offensive ». Les monarchies européennes craignent une contagion de l’effervescence révolutionnaire française : si cette fin de XVIIIème siècle est celle des révolutions – dans la recherche historique, nous évoquons « les révolutions atlantiques » –, aucune n’a pris la dynamique de la Révolution française ni n’a sa nature, tant et si bien qu’elle est condamnée par Adams, le révolutionnaire américain, ou Burke, qui prévient que la Révolution de France n’a aucun rapport avec celle d’Angleterre. Louis XVI et Marie-Antoinette supplient Joseph II d’intervenir militairement contre la France et de saigner la Révolution, mais celui-ci a pour l’heure les yeux rivés sur la Pologne, qui serait bientôt dépecée entre Autrichiens, Prussiens et Russes. Aussi, les positions de Robespierre ou de Marat ne sont pas celles de pacifistes béats, mais consistent à se préparer. Robespierre craint la guerre, elle serait une menace terrible pour la Révolution ; d’abord, le risque de défaite est important, les généraux étant majoritairement gagnés à la contre-révolution, et Robespierre a en tête les révolutions voisines saignées par des invasions étrangères – nous y reviendrons ultérieurement. A l’inverse, en cas de victoire française, un général auréolé de succès et de gloire se retrouverait investi d’un grand prestige et pourrait établir une dictature militaire ; La Fayette représente une menace sérieuse à ce moment. Aussi, moins d’une décennie avant le coup d’État de Napoléon Bonaparte, Robespierre annonce son arrivée… Mais ce sont surtout ses convictions politiques que Maximilien oppose aux Girondins :


« Remettez l’ordre chez vous avant de porter la liberté ailleurs […] La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger pour lui faire adopter ses lois ; Personne n’aime les missionnaires armés ! »


Diatribe criante de lucidité et de vérité. Robespierre sort vaincu de ce duel ; les Girondins sont appelés au ministère en mars 1792. Le 20 avril, ils n’ont pas à forcer le Roi à déclarer la guerre à François II de Habsbourg, Roi de Hongrie et de Bohême – futur Empereur d’Autriche. Bientôt, par le jeu des alliances notamment, et par crainte de la contagion révolutionnaire, ce sont presque toutes les monarchies européennes qui sont en guerre contre la France. La guerre est rapidement un désastre. Les trahisons du couple royal, les frontières qui cèdent, l’invasion qui démarre, conduisent à la prise des Tuileries le 10 août, à l’initiative des sections parisiennes, du Club des Cordeliers et des Fédérés – les bataillons venus notamment du Sud de la France. Robespierre fait partie des protagonistes qui ont préparé cette journée. Bientôt, la République s’impose d’elle-même. C’est par pragmatisme que Robespierre s’y rallie, mais c’est par conviction qu’il s’en fait l’un des défenseurs les plus ardents.

Le conventionnel montagnard : condamner le roi et établir l’égalité !

L’entrée en République rabat les cartes politiques. Les monarchiens sont balayés, aussi, nombre de « modérés » qui jusqu’alors siégeaient à gauche, se retrouvent sur les bancs du côté droit pour former ce que l’on appellera a posteriori la Gironde, les Girondins, ou bien dans la majorité « centriste », la Plaine. Parmi les Girondins, Pétion, mais également Condorcet, Gensoné, Isnard, Vergniaud, … Robespierre est élu pour Paris, qui envoie à la Convention, la nouvelle assemblée constituante, une députation très démocratique. Le côté gauche se désignerait bientôt comme la Montagne, estimant que celle-ci est le « Sinaï des Droits de l’Homme » (Bosc), montagne qu’il est nécessaire de gravir pour les imposer – non, les Montagnards ne siègent pas en haut. Avant la proclamation, discrète, de la République – le 22 septembre – des exécutions sommaires ont été faites sur des prisonniers – les massacres de septembre – ; si nombre d’entre eux se vantaient de faire bientôt égorger les révolutionnaires, à l’approche des troupes ennemies, beaucoup de victimes sont des prisonniers de droit commun. C’est donc dans un climat de violence et de pression populaire que se réunit l’Assemblée. Les positions entre Girondins et Montagnards sont inconciliables. Les premiers ciblent leurs attaques sur les trois députés démocrates les plus en vue : Robespierre, Marat, Danton, accusés de vouloir établir un triumvirat – Marat avait réclamé une dictature, comme on le faisait dans la République romaine lorsqu’une crise exceptionnellement grave la menaçait. Au-delà des divisions foncièrement politiques, les Girondins, à l’Assemblée ou à la ville – Olympe de Gouges par exemple – refusant au peuple toute forme de participation au pouvoir, c’est sur les questions économiques et sociales que l’affrontement fait rage. La guerre a aggravé la disette, les prix du grain ont explosé, la spéculation fait rage sur les produits de première nécessité. Mais la Gironde refuse toute forme de régulation – je renvoie une nouvelle fois à mon article du 2 juin.


« Quel est le premier objet de la Société ? C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’Homme. Quel est le premier de ces droits ? Celui d’exister. » « Je vous dénonce les assassins du peuple et vous répondez : ‘’laissez-les faire.’’ »


A ce plaidoyer de Robespierre pour l’égalité le 2 décembre 1792 (Mazauric), les Girondins répondent en faisant voter six jours plus tard la peine de mort contre ceux qui s’opposeraient à la libre circulation des denrées.

Le mois de décembre est également celui de l’ouverture du procès du roi. Ce n’est pas sur la mort que les oppositions sont les plus importantes, mais sur l’exécution ou le sursis, option privilégiée de la majorité des Girondins – et non de tous – et bien entendu, sur l’appel au peuple. Or, le mouvement populaire est hostile… à l’appel au peuple. Les adresses des sociétés populaires, dont le recrutement s’est considérablement démocratisé avec l’entrée en République, demandent le procès par la Convention et l’exécution. Le peuple a jugé le 10 août, et les Montagnards, ainsi qu’une minorité de Girondins comme Carra, l’ont compris. De surcroît, les sections – des circonscriptions électorales – ont été investies dans les départements par les « modérés » et les « aristocrates » et elles commencent à se poser en contrepoint des sociétés populaires : la guerre civile risque de considérablement s’amplifier. Enfin, la Plaine et la majorité des Girondins, en plaidant l’appel au peuple, entendent mettre en accusation l’insurrection du 10 août, laquelle était également dirigée contre l’Assemblée Législative (Mathiez). Robespierre s’y oppose donc et appelle à voter pour la mort du roi, sans sursis. Pourquoi ce député opposé à la peine de mort, qu’il estime encore être un crime, vote-t-il dans ce sens ?

« J’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n’ai pour Louis ni amour ni haine : je ne hais que ses forfaits. […] Je prononce à regret cette fatale vérité… mais Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive. »

Robespierre est un homme de convictions, pas un « idéologue ». Louis XVI n’est pas un prisonnier de droit commun. En responsable politique pragmatique, et non cynique, parfaitement en prises avec le contexte et le danger imminent d’alors, Robespierre se positionne sans la moindre ambiguïté : le roi des Français est le signe de ralliement des ennemis de l’intérieur et des émigrés. Il est de surcroît intéressant de relever que les offusqués de l’exécution du Roi passent généralement sous silence celles de Nancy…

L’exécution de Louis XVI, évidemment, ne règle pas les problèmes d’indigence. Robespierre et les Montagnards demandent un maximum sur les prix du grain. Le député entend également encadrer strictement le droit de propriété – Robespierre, l’un des précurseurs du socialisme, n’est pas un collectiviste. Cependant, la crise s’intensifiant, et avec elle la pression populaire, les Girondins doivent céder et accepter un « premier maximum », le 4 mai 1793 (Lemarchand). Il n’empêche qu’ils s’évertuent à vouloir saigner – comprendre au sens propre – le mouvement populaire. Voilà des mois que les sociétés populaires du pays exigeaient la révocation de députés Girondins : Robespierre s’y était toujours opposé ! Il entendait les affronter sur le terrain politique, d’autant qu’en ce printemps 1793, ils étaient considérablement fragilisés. Mais Robespierre était dépassé sur sa Gauche par Marat et la Commune insurrectionnelle de Paris qui, le 2 juin, appuyée par les canons de la Garde Nationale, exigeait la révocation de 22 députés jugés « mandataires infidèles ». C’est chose faite, mais Maximilien Robespierre les protège ! En effet, le député montagnard s’oppose à leur mise en jugement et à quelconque exécution – un tyran sanguinaire nous dit-on. Il obtient donc qu’ils soient assignés à résidence, voulant se prémunir de départs dans les départements pour fomenter la guerre civile – les Girondins en avaient appelé militairement aux propriétaires de province. C’est pourtant ce qui se passe. À cela s’ajoutaient les assassinats de Lepeltier (20 janvier 1793), de Marat (13 juillet – voir mon post du 13 juillet dernier) et de Châlier à Lyon, exécuté par les Girondins. Le mouvement populaire ne veut plus se laisser saigner : après les massacres qui courent depuis l’année 1790, les dirigeants démocrates sont assassinés chez eux ou dans leur municipalité. Il est temps de retourner la violence contre les « modérés » et les « aristocrates ».

Le conventionnel montagnard : face à la guerre civile et aux invasions

Dans l’inconscient collectif, bercé par les fables écrites au XIXème siècle, et formaté par des programmes scolaires qui pratiquent avec allégresse la contre-vérité historique et l’omission volontaire, faisant fi de toutes les sources de premières mains – et pour la période, de toutes les parties en présence, nous en avons profusion –, « la Terreur » est un basculement de la Révolution dans la violence. Or, il n’y a jamais eu aucun système de « Terreur ». Robespierre comme bien d’autres s’y sont toujours opposés – l’expression « système de Terreur » est postérieure à la période. En revanche, il y a une politique d’exception, « le gouvernement révolutionnaire », et un retournement de la violence contre ceux qui en usaient abondamment. Certains journalistes de premier plan disent qu’il s’agit là d’ « une thèse marxiste », mais cette remarque, derrière une érudition de façade, révèle une culture historique fragile. En effet, les marxistes ne sont guère favorables à la Révolution française, qu’ils perçoivent comme une « révolution bourgeoise » – c’est regrettable, elle est avant tout une Révolution paysanne et des artisans des villes. Évidemment, certains marxistes se montreront plus nuancés, mais les exceptions confirment la règle. Quant aux massacres commis par certains envoyés en mission, ils furent l’initiative d’hommes qui agissaient sans ordres de la Convention, qui ont furent rappelés par Robespierre, lequel entendait les poursuivre et c’est pour cela qu’ils se retournèrent contre lui.

Revenons un peu en arrière. Avec le tournant désastreux de la guerre, les frontières de l’Est tombées, la trahison de généraux, la Convention avait décrété la levée en masse – 300 000 hommes. Certains des critères étaient arbitraires et dans le grand Ouest, déjà hostile aux mesures contre l’Église, l’anti-révolution épousa la contre-révolution. Un front intérieur s’était levé au printemps 1793 : son épicentre, la Vendée. L’armée catholique et royale avançait de manière spectaculaire, détruisant les villages favorables à la Révolution, ou enterrant des républicains… vivants (Mathiez). Les partisans de la théorie du « génocide vendéen » ont la fâcheuse tendance d’omettre ces atrocités – parmi bien d’autres. Face à ces bains de sang – tus dans les programmes scolaires évidemment –, Robespierre se montre intransigeant et opte pour un champ lexical guerrier – et les mesures qui l’accompagnent.


« Il n’y a plus que deux partis en France, le peuple et ses ennemis. Il faut exterminer tous ces êtres vils et scélérats, qui conspirent éternellement contre les droits de l’homme et contre le bonheur de tous les peuples. »


Il s’exprime ainsi aux Jacobins le 8 mai 1793 (Leuwers). Il ne s’agit pas simplement « d’exterminer les rebelles », mais également ceux des « aristocrates » qui, de Coblentz notamment, organisent la contre-révolution armée et joignent leurs forces aux troupes étrangères. Les Français ont en tête les révolutions voisines réprimées dans le sang. Effectivement, de 1787 à 1790, les révolutions brabançonnes et des Provinces-Unies sont achevées par des interventions militaires étrangères. Aux Provinces-Unies, « […] le stathouder recouvre ses droits et la répression poursuit les patriotes et les meneurs actifs. » (Biard/Dupuy). C’est d’autant plus prégnant que de nombreux étrangers ont rejoint les rangs des révolutionnaires français – Cloots par exemple. Cette répression sanglante est le sort qui attend les révolutionnaires français ; l’enjeu est donc double : l’achèvement de la Révolution et la survie des patriotes. Il est très confortable, installé sur son sofa ou dans un studio de télévision, bercé de grands principes et noyé dans son ignorance, de condamner la violence des uns en taisant celle des autres, de ne pas savoir que sans cette dernière, que sur le plan philosophique on peut regretter, le sort de la Révolution française et de ses protagonistes eût été différent – mais du reste c’est ce qu’aurait souhaité bien de ceux qui s’expriment sur cette question. Ce contexte amène le Peuple à porter une revendication : « la terreur à l’ordre du jour ». La Convention s’y oppose, Robespierre en tête. Non, « la Terreur » n’a jamais été mise à l’ordre du jour ! Évidemment, l’impunité qui avait largement court jusque-là est désormais révolue. A l’instar des Antipolitiques d’Aix, les citoyens et les clubs politiques demandent que l’on installe des tribunaux populaires – à Aix dès l’été 1792 –, que l’on ait des procédures rapides, mais pas sans preuves. À Aix justement, les Antipolitiques, dès 1792, imaginent un système où, dans le cadre de procès, celui des deux parties qui serait reconnu avoir eu tort et/ou porterait des accusations sans preuves serait contraint de prendre en charge les frais de justice de l’autre ; la dénonciation relève du devoir patriotique, la délation de la contre-révolution. Autre légende urbaine : l’exécution de suspects sans procès et sans démonstration de la preuve. Vaste farce ; nous allons y revenir. Dans le même temps, la régénération politique se poursuit. Girondins et Montagnards proposent des projets de Constitution. Pour le côté droit, Condorcet présente un projet qui accorde une place importante au pouvoir exécutif, un État… centralisé. Oui, le philosophe aux lunettes rectangulaires peut revoir ses classiques, les Girondins sont favorables à un pouvoir centralisé puissant ! La révocation des dirigeants brissotins ouvrent la voie au projet porté par Robespierre – pour la nouvelle Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen – et Saint Just, pour la Constitution. Si Robespierre met en avant la reconnaissance de l’Être Suprême – dont le culte est initialement voulu par… Danton –, il fait de l’Égalité le principe cardinal. Par ailleurs, celui-ci n’est pas limité à une reconnaissance en droit. « Tous les Hommes sont égaux par nature et devant la loi », article 3. Robespierre, déjà à l’origine d’un impôt progressif, met dans sa Déclaration de 1793 la nécessité de l’assistance publique et le droit au travail :

« Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler », article 21.

Pour la révolution bourgeoise et la domination des riches, on repassera. Ces revendications démocratiques et sociales sont portées depuis 1789 par le mouvement populaire et ont même été imposées ici ou là par les Jacobins. Robespierre pousse la tyrannie jusqu’à déclarer légaux la résistance à l’oppression et le renversement du gouvernement :

« La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent », article 9 ; « Tout acte exercé contre un Homme hors des cas et sous les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique. Celui contre lequel on voudrait l’exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force », article 11.

Mais c’est surtout l’article 35 qui excite l’ire des conservateurs :

« Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs », article 35.

On a vu des tyrans plus… tyranniques. Nous verrons bientôt que ce sont précisément ces éléments que les thermidoriens désigneraient par le terme de « Terreur » –, avec la majuscule, c’est important –, mais encore faut-il s’être penché un tant soit peu sur des sources – les philosophes fréquentent peu les archives, mais certains d’entre eux les commentent beaucoup, notamment à la télévision… Ce n’est par ailleurs pas la seule calomnie – l’accusation de tyrannie – dont est victime Maximilien Robespierre. On veut en faire un homme libidineux – ce qui a échappé au philosophe qui a écrit que Robespierre « n’avait pas de bouche ». Alors que de nombreuses femmes s’intéressent de près à lui, il est accusé d’avoir des maîtresses dans tout Paris, de fréquenter des maisons de plaisir et de participer avec Saint Just à des « orgies patriotiques ». Le Robespierre puceau est un élément de la « légende dorée », construite a posteriori, au XIXème siècle, et involontairement, par des républicains qui lui sont favorables, et qui en font un personnage désincarné.

Évidemment, en ces temps de guerre civile et de guerre extérieure, en ces temps où la loi martiale était encore appliquée – jusqu’à l’éviction des Girondins –, le vocable guerrier est revendiqué : « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les Hommes libres », article 27. Bien entendu, les procédures légales et la présomption d’innocence sont reconnues – articles 13, 14 et 15 –, l’inviolabilité des mandataires du peuple récusée – article 31, celui qui a dû échapper à Jean-Luc Mélenchon –, ainsi que la nécessité de ne pas faire profession des responsabilités publiques – article 30. Quant à la Constitution, elle est soumise à ratification… dans les départements par les citoyens ! Pour la prétendue centralisation jacobine, on repassera aussi. Les Montagnards défendent la centralité législative, ce qui n’est pas la centralisation. La Constitution est adoptée le 24 juin 1793 et, contrairement à une idée largement répandue, elle est appliquée ; seules les mesures liées aux élections des ministres – qui étaient également prévues – sont suspendues (Gauthier). Pour autant, Robespierre et les Montagnards ne sont pas suicidaires, d’autant que l’été est marqué par la révolte dite « fédéraliste » : dans les départements, les « modérés » et les propriétaires favorables aux Girondins se soulèvent contre la politique économique et sociale de la Convention – et non contre Paris. Par ailleurs, le terme « fédéraliste » n’est pas revendiqué par les Girondins – n’en déplaise au philosophe qui se découvrirait robespierriste s’il étudiait sérieusement la question –, c’est une accusation portée par les Montagnards. Aussi, à crises exceptionnellement graves, il faut des réponses qui le soient également, mais dans un cadre légal… et provisoire !

Le conventionnel montagnard : la terreur et la vertu

La Comité de Salut public est décrété par la Convention le 6 avril 1793. Danton notamment siège dans ce premier comité. Que n’entend-on pas comme contre-vérités historiques et informations erronées sur cette instance ? Que ne fait-on parfois écrire dans les cahiers d’école ? Non, le Comité de Salut public n’est pas un gouvernement ! Non, le Comité de Salut public n’est pas une instance exécutive ! Non, le Comité de Salut public n’est pas indépendant ni au-dessus des lois ! Le Comité n’est pas non-plus le Tribunal Révolutionnaire. Le Comité de Salut Public est ce que nous appellerions aujourd’hui « une commission parlementaire ». Composé de députés élus par leurs pairs, il a pour mission de proposer des mesures exceptionnelles, provisoires, pour venir au bout de la crise dans les plus brefs délais – on est très loin d’une instance totalitaire pensée de manière pérenne. Le Comité doit rendre des comptes à la Convention tous les mois et ces membres sont renouvelables également tous les mois. Robespierre refuse d’y entrer à plusieurs reprises ; il n’accepte de l’intégrer que le 27 juillet 1793, au plus fort de la guerre civile. Entre le 6 avril et le 20 septembre, le Comité de Salut public a été renouvelé… sept fois ! Le nombre de ces membres a varié, été porté jusqu’à 18 avant d’être ramené à 12 à la fin de l’été 1793. Robespierre, qui est un membre influent du Comité, n’en est pas le chef ! Il ne le préside pas non plus. Il est l’un des membres, et il est même parfois mis en minorité.

J’ai déjà indiqué que le mot d’ordre populaire « la Terreur à l’ordre du jour » n’a jamais été décrété par la Convention. D’où vient la confusion ? De la séance du 5 septembre 1793, où des élus de la Commune insurrectionnelle de Paris investissent l’Assemblée que préside alors Robespierre – présidence renouvelée tous les mois – et demandent la réalisation du mot d’ordre. Sont visés les « aristocrates » – comprendre les contre-révolutionnaires – mais aussi les accapareurs et les spéculateurs. Robespierre, qui dans l’été a reconnu le besoin de vengeance du peuple (Leuwers), répond à l’Assemblée par la nécessité de Justice :

« Le bras du peuple est levé, la justice le fera tomber sur la tête des traîtres, des conspirateurs, et il ne restera de cette race impie, ni traces, ni vestiges. »
L’homme est intransigeant, mais il n’entend pas que la justice frappe aveuglément. Robespierre théorise la politique d’exception, « le gouvernement révolutionnaire », le 25 décembre 1793. Celle-ci démontre comment l’idéaliste rousseauiste a dû évoluer, nourri par la culture antique et réinvestissant le principe d’une magistrature républicaine de la Rome ancienne : la dictature.


« Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui d’un gouvernement révolutionnaire est de la fonder. La révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis ; la constitution est le régime de la liberté victorieuse est paisible. Le gouvernement révolutionnaire a besoin d’une activité extraordinaire, précisément parce qu’il est en guerre. Il est soumis à des règles moins uniformes et moins rigoureuses parce que les circonstances où il se trouve sont orageuses et mobiles, et surtout parce qu’il est forcé à déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides, pour des dangers nouveaux et pressants. Le gouvernement constitutionnel s’occupe principalement de la liberté civile ; et le gouvernement révolutionnaire de la liberté publique. […] Le gouvernement doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort. » (in
Vovelle)


Précisons au préalable qu’il ne faut pas entendre « gouvernement » au sens « d’instance exécutive », mais comme « principe ou modalité de l’action politique » et « ceux qui ont la responsabilité du gouvernement de la République », le primat du pouvoir allant au législatif. La politique d’exception n’est pas pensée comme une restriction de la liberté, mais comme des mesures de défense de la liberté. Ce ne sont pas des citoyens que l’on cherche à frapper au hasard, mais ceux qui sont convaincus « d’aristocratie », ceux qui depuis 1790 fondent sur les villes et les villages, désarment les patriotes, pratiquent des massacres, financent la contre-révolution, soutiennent les armées étrangères – les Girondins ont, par exemple, livré Toulon aux Anglais –, spéculent sur les denrées alimentaires, cachent le grain pour faire exploser les prix, sont complices par leur passivité… Le pouvoir législatif conserve le contrôle, régule – et c’est le cadre même de la loi des suspects ; justice expéditive ne signifie pas justice arbitraire. Les commissions populaires sont chargées de trier les suspects et Robespierre entend que les innocents soient rapidement relaxés. Les suspects sont donc envoyés ou non, devant le Tribunal révolutionnaire. Les accusés condamnés peuvent être mis hors de cause car les commissions ont la possibilité de réviser les procès et la production de la preuve demeure la règle (Cf. Jourdan). Les sociétés populaires sont pleinement intégrées au dispositif législatif. Les procureurs syndics dans les districts et les procureurs généraux syndics, élus dans les départements, ne perdent rien de leurs prérogatives. Localement, charge aux exécutifs et aux citoyens d’organiser les institutions et de réaliser cette politique. Par ailleurs, Robespierre n’oppose pas terreur et Droits de l’Homme :

« La terreur est une conséquence du principe général de démocratie appliquée aux plus pressants besoins de la Patrie. »

Force est de constater qu’à l’aune de certains événements aujourd’hui, qui ne sont pas de simples « incivilités », il serait judicieux de réévaluer notre perception dévoyée des Droits de l’Homme et du Citoyen. Robespierre est de ceux qui estiment que les individus qui conspirent contre la jeune République française et travaillent à l’anéantissement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen se mettent d’eux-mêmes en-dehors de l’une et de l’autre et par conséquent, ne peuvent les convoquer pour échapper à une prompte justice. On opposera toujours que les excès sont possibles, c’est un fait. Ne rien faire ou assister avec impuissance à l’anéantissement de la liberté en se confortant dans des discours « pacifistes » n’est guère moins violent. Quelques mots alors – mais cela mériterait des articles spécifiques et détaillés – sur des événements marquants. Tout d’abord, la déchristianisation de l’an II, qui prend un tour violent : elle n’est pas le fruit d’une politique. La Convention s’y oppose avec fermeté. Robespierre estimait qu’elle était un gage donné à la contre-révolution. Ici aussi, probablement que l’homme fait parler ses convictions – cette fois-ci spirituelles. En effet, l’argument était déjà opposable à l’exécution du roi, pourtant Robespierre n’hésita pas à la voter. Cette position anti-déchritianisatrice de Robespierre est à l’origine du couplet de certains libéraux ou de l’extrême-gauche : « Robespierre, le parti prêtre ». Or, Robespierre s’est farouchement opposé à l’Église catholique et a été partie prenante de la « laïcisation » de la société. On entendra qu’il « a persécuté les athées » – il en dit des inepties ce philosophe. Sources ? Les déchristianisateurs n’ont pas été persécutés et ils n’étaient pas athées – ou ceux qui l’étaient représentaient une part minoritaire –, mais déistes, voire même chrétiens. Parmi eux… des prêtres ! Pour le seul quart Sud-Est, des milliers renoncent volontairement à la prêtrise (Vovelle). Il est cependant exact qu’à l’instar de la majorité des protagonistes de l’époque, Robespierre fustigeait l’athéisme.

J’ai déjà abordé la Vendée. S’y joue une guerre civile atroce qui commence dans les conditions que j’ai indiquées. Les massacres, abominables, et les 100 à 200 000 morts, sont des victimes des deux camps. « Les colonnes infernales » – qui agissent sans ordre de la Convention – n’ont pas l’exclusive des abominations.

Il y a évidemment les monstruosités commises par des représentants en mission, Fouché, qui mène notamment une répression sanglante à Lyon ; Carrier, l’instigateur des noyades de Nantes. Rien ne saurait justifier ces meurtres. Robespierre est rapidement alerté, notamment par son jeune frère Augustin ; le conventionnel obtient le rappel de ces représentants, il entend les faire juger, condamner et exécuter : il a signé son arrêt de mort.

Le 9 Thermidor an II, la chute

Les raisons qui expliquent la chute de Robespierre et de ses amis sont multiples. Les historiens les débattent depuis deux siècles. Il est néanmoins évident que les dissensions du côté gauche sont un facteur important. Au printemps 1794, la Montagne, à l’Assemblée comme dans le mouvement populaire, se déchire en effet dans la lutte des factions, les ultras – les « Exagérés », Hébert, … – et les Citra – les « Indulgents », Danton, Desmoulins, … Les premiers – qui comptent les fameux soi-disant « athées » d’Onfray – exigent une politique que l’on qualifierait aujourd’hui « d’extrémiste », demandant plus de mesures répressives et la violence comme moteur de l’action politique. En ce début d’année 1794, « le gouvernement révolutionnaire » a déjà commencé à porter ses fruits et l’on peut espérer une stabilisation de la situation. Quoiqu’il en soit, Robespierre et la Convention refusent une débauche de violence. Face à eux, les « Indulgents », qui comptent parmi les plus radicaux de la veille, appellent à la tempérance, mais les menaces sont encore réelles et tout danger n’est pas écarté. Robespierre entend occuper une place centrale entre ces factions, lesquelles représentent alors toutes deux, selon lui, une menace pour la survie de la République et œuvrent de son point de vue à la dissolution de la Convention (Leuwers) : « Camille et Hébert ont également des torts à mes yeux. »


Si Maximilien Robespierre accepte sans sourciller l’élimination des « Exagérés » (24 mars 1794), il protège tant qu’il le peut Danton et ses amis. Il convient ici de le préciser et de s’attacher à la réalité historique : sur le plan politique, entre Danton et Robespierre, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Mais « le géant de la Révolution », « le Mirabeau de la Canaille », est un personnage équivoque, mêlé à plusieurs affaires de corruption. La pression sur la gauche de Robespierre est forte– il doit se justifier de ne pas être pas un « modéré » (Leuwers) –, les divisions toujours importantes, il finit par accepter l’exécution des « Indulgents » (5 avril 1794). Probablement ceci accentue-t-il davantage son isolement et inscrit-il une fracture définitive dans le « parti patriote».


En effet, avec Danton, tribun du Peuple, sont exécutés Desmoulins, LE Républicain, l’homme du 12 juillet 1789, mais aussi Delacroix, Hérault de Séchelles, Westermann, …

En effet, Robespierre est de plus en plus souvent mis en minorité au Comité de Salut public, qu’il finit par déserter – et c’est le moment où la guillotine fonctionne à plein régime. Il est par ailleurs épuisé et probablement malade. Sur sa Gauche, on le trouve trop « modéré ». Au sein du Comité, les désaccords sont de plus en plus béants ; à l’extérieur, des hommes comme Fouché et Carrier savent que leur tour viendra. En ce début d’été 1794, la situation est stable : l’ordre est rétabli pour partie à l’intérieur et la victoire de Fleurus le 26 juin, à laquelle Saint Just a participé – et pas simplement de derrière le bureau du Comité – semble éloigner pour longtemps la menace extérieure. Une paix durable est à portée de mains. De nombreuses questions se posent. Parce qu’il est un homme politique responsable, foncièrement attaché à la démocratie, soucieux de réaliser la République démocratique et sociale, Maximilien Robespierre, qui connaît la pensée politique de Montesquieu – De l’esprit des lois –, n’envisage pas comme liberticides des lois répressives nécessaires à la préservation de cette démocratie, – oui, la Gauche a bien changé depuis le XVIIIème siècle. Le 16 juillet, il justifie ses prises de positions à la tribune des Jacobins (Leuwers) :


« Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en Révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. […]


[…] On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; il a raison, comme despote. Domptez par la terreur les ennemis de la liberté ; et vous aurez raison, comme fondateurs de la république. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. »


Se pourrait-il alors que le despotisme de la liberté soit assuré ? Se pourrait-il que les oppositions soient mises en sommeil ? Toujours est-il que l’opposition à Robespierre, qui réunit alors l’extrême-gauche, le centre et la droite, s’organise. On fait circuler des rumeurs, on se livre à la calomnie, bref, on cherche un terrain d’entente pour sceller cette alliance d’opportunité. Saint Just, présenté souvent comme un homme inflexible, que l’on retient comme « l’archange de la Terreur », organise une réunion du Comité de Salut public le 5 Thermidor an II (23 juillet 1794) : il s’agit de bâtir un compromis (Mazauric). On s’apprête à un retour à la normale. Nonobstant, le 8 Thermidor (26 juillet), Robespierre porte des accusations aux Jacobins contre ceux qui se livrent à des conspirations, accusant nommément Cambon. C’est alors que tous ceux qui craignent pour leurs vies, ceux qui se sont livrés à des pratiques répréhensibles ou à des excès criminels, scellent leur alliance avec les conservateurs qui veulent mettre un terme à la politique démocratique des robespierristes. Maximilien Robespierre ne doit pas pouvoir parler à la Convention le lendemain ! Le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), le coup d’État parlementaire (Gauthier/Belissa) aboutit. Si l’on empêche Robespierre de parler, Saint-Just reste muré dans son silence : il ne lirait pas son discours. Robespierre et ses amis sont décrétés d’accusation ; les thermidoriens – Tallien et les auteurs du coup d’État – semblent avoir gagné la partie. Le Bas, mais aussi Augustin, le jeune frère de Maximilien, ami d’un jeune officier qui s’est illustré dans la reprise de Toulon, un certain Bonaparte, demandent à partager le sort des accusés. Ces hommes, pétris de l’idéal romain, poussent la loyauté en amitié jusqu’au sacrifice ultime. Ils sont conduits à la prison du Luxembourg. Mais en voyant Robespierre, le porte-voix des démocrates, le geôlier refuse de l’incarcérer. À moins que l’on ne cherche à pousser l’accusé à la faute. Effectivement, comme je l’ai indiqué précédemment et contrairement aux fables abondamment relayées, être accusé et arrêté ne signifie pas être condamné. Pour être exécuté sur simple reconnaissance, il faut être mis « hors de la loi », Robespierre se garde bien alors d’agir hors de la loi de façon à pouvoir se défendre devant le tribunal révolutionnaire. Il se rend donc à la Maison Commune – l’Hôtel de Ville – de Paris. Mais la nouvelle de son accusation a circulé rapidement. 3500 sectionnaires parisiens (Mazauric) se sont réunis en armes. C’est peu. Dans la nuit du 9 au 10 Thermidor, les troupes de la Convention prennent d’assaut la Maison Commune. Les circonstances relatives aux actions de Robespierre ne sont pas claires. Effectivement, sa mâchoire est fracassée par un coup de pistolet. Le gendarme Merdat – ça ne s’invente pas – a-t-il été l’auteur du tir, comme il l’a prétendu ? Ou Robespierre, en Caton du XVIIIème siècle, a-t-il tenté de se suicider – c’est l’option privilégiée par l’historien Michel Biard ? Robespierre, mis hors de la loi, est conduit à la guillotine le 10 Thermidor. On lui arrache le bandage qui maintenait sa mâchoire, son cri est atroce. Avec les exécutions de Robespierre, de Saint Just, de Couthon, … ce sont les mesures sociales, démocratiques et populaires qui périssent. Les thermidoriens de Gauche sont dépassés par ceux de Droite, et la Convention dite « thermidorienne » est l’antichambre du Directoire. Le mouvement démocrate est épuré, un régime oligarchique posant les bases de ce que nous appelons aujourd’hui la « démocratie représentative » est installé.


Thermidor et « la Terreur »

Les thermidoriens ont poursuivi les mesures répressives. Aussi, si l’on reproche à Robespierre une justice expéditive, ce n’est pas parce qu’elle aurait fait usage de la violence, mais parce que cette violence avait frappé des notables, qu’elle était au service des Droits de l’Homme. Le propos est ainsi explicitement assumé par les thermidoriens, qui favorisent le retour en politique des Girondins et le retour en France des prêtres réfractaires et des émigrés – avec toutes les conséquences que cela devait avoir sur la stabilité politique, la paix civile et religieuse.

Il convient d’abord d’essayer de justifier le coup d’État. Si Robespierre est enterré dans une fosse commune et recouvert de chaux vive car on craint un culte à partir de reliques (Belissa/Bosc), on élabore la « légende noire » en compilant attaques royalistes et girondines. On créé donc un tyran qui élabore un « système de Terreur ». Un tyran qui mène une politique « anarchiste », qui menace l’ordre social établi et permet à des non-propriétaires de participer au gouvernement de la Cité. L’historien Yannick Bosc a démontré comment le discours thermidorien entendait épurer la Constitution de « ses axiomes anarchistes », mettant en évidence les propos de ces conservateurs. Ceux-ci n’opposent pas « Terreur » et « Droits de l’Homme », ils les lient inexorablement. Ainsi, Jeremy Bentham, proche des Girondins, déclare : « Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, voilà le langage de la Terreur. » Quant à Boissy-d’Anglas, il définit la Terreur comme « un système dans lequel le peuple est constamment délibérant » (Bosc).

À l’instar de ce que j’écrivais relativement à Marat, s’opposer à Robespierre est une chose, savoir pourquoi en est une autre. J’ajouterais qu’il est utile, en un temps où la Démocratie semble n’être plus qu’une chimère, de comprendre comment se structure l’inversion accusatoire. Le démocrate, jugé « anarchiste » hier, « populiste » aujourd’hui, est toujours attaqué à partir de calomnies, d’invectives, de noms d’oiseaux. Cela fonctionne et permet à un petit nombre de conserver le pouvoir, en en privant davantage ceux qui auraient intérêt à bénéficier de la politique qu’ils fustigent. De surcroît, pendant que l’on s’évertue à faire passer Robespierre pour un tyran sanguinaire, on s’assure que l’on ne parlera pas du fond de sa politique, de son projet de République démocratique et sociale, de sa vision économique au service du « bonheur commun », de la nécessité de mesures d’exception en temps de crise grave, bref, de tous ces éléments qui n’ont pas épuisé toutes leurs potentialités et dont nous avons cruellement besoin aujourd’hui.


Pour aller plus loin

Hervé Leuwers, Robespierre, Fayard, 2016.
Marc Belissa, Yannick Bosc, Robespierre, La fabrication d’un mythe, Éditions Kime, 2013.


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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