Les Antipolitiques d’Aix, une société populaire républicaine et démocrate

Les Antipolitiques d’Aix, une société populaire républicaine et démocrate

Communication pour la journée d’étude IRHiS Lille-GRHiS Rouen du 10 février 2023,

Être ou ne pas être républicain, une notion à l’épreuve des itinéraires individuels et collectifs.

Les Antipolitiques d’Aix, dont le nom ne peut laisser indifférent, étaient un club de cultivateurs et d’artisans, fondé par un abbé anticlérical, Jean-Joseph Rives, que Michel Vovelle avait désigné comme « un Marat aixois[1] ». Dès leur installation dans le chef-lieu du jeune département des Bouches-du-Rhône, les Antipolitiques se révélèrent être de fervents partisans de la révolution démocratique et sociale, donc bien avant l’avènement de la République. Leur ligne politique pourrait être illustrée par une déclaration de l’Abbé Rive adressée au Commissaires du Roi en janvier 1791 :


« Sommes-nous libres en France, ou la liberté dont on nous y flatte, n’est-elle qu’un leurre ? […]. Si nous y sommes véritablement libres, nous y sommes égaux, parce que nous y sommes tous hommes, & qu’il n’y a point d’homme qui y soit plus homme qu’un autre. Il ne nous y faut donc que de vrais démagogues, & de justes démophiles[2]. »


Au-delà des termes démagogues et démophiles qui portent intrinsèquement, dans la pensée de l’auteur, une dimension méliorative, il faut noter que l’idée maîtresse, celle de la liberté envisagée comme un lien social, condition même de l’égalité, fut résolument la rose des vents des Antipolitiques d’Aix tout au long de leur vie chahutée, de 1790 au 15 mars 1795[3]. Il faudrait également ajouter une certaine ouverture de la société aux femmes.

Point de républicanisme précoce aux Antipolitiques cependant, a contrario des Cordeliers à Paris, comme l’a si bien démontré Albert Mathiez[4]. Pas de revendication de la République, même après le coup de semonce des Antipolitiques envoyé par les clubistes à Louis XVI en personne[5] le 1er janvier 1792, pour manifester leur soutien à l’adresse des patriotes de Caen à l’Assemblée législative[6]. Les Aixois avertissaient sans laisser planer la moindre ambiguïté :

« Règne, mais règne par la Loi & par ton attachement pour celles qui seront décrétées ; c’est le seul moyen de te concilier pour jamais l’amour des Français[7]. »

Nonobstant, à l’été 1792, devant l’inéluctable chute de la monarchie, les Antipolitiques d’Aix se positionnèrent avec force : ils envoyèrent deux d’entre eux, Ayme et Pascal, rejoindre le bataillon des Marseillais[8] qui joua le rôle que l’on sait aux Tuileries. Dès lors, les Antipolitiques d’Aix devenaient les artilleurs d’un républicanisme radical ; la notion mérite bien sûr d’être définie, mais les clubistes eux-mêmes apportent des précisions par leur délibération du 26 juillet 1792, lorsqu’ils appelaient à « […] écrire une circulaire à [leurs] Sociétés affiliées de [leurs] département pour les inviter à […] venir se réunir avec les antipolitiques d’Aix à l’effet de former un Bataillon d’antipolitiques, c’est-à-dire un Bataillon inaccessible aux modérés[9]. »

Je vous propose donc d’envisager l’adhésion républicaine des Antipolitiques, citoyens pour l’essentiel de condition modeste, et leur activisme en la matière, en analysant les procédés d’acculturation politique et l’appropriation de figures antiques, mais également des fêtes civiques structurées en véritables démonstrations de force, ou encore en prenant la mesure de l’élaboration d’un champ lexical qui ne laisse planer aucune ambiguïté, voire qui participe à l’ouverture d’une voie martiale au républicanisme français.

Les manifestations républicaines par le verbe

Les secrétaires du clubs, qui sont parfois plusieurs à se succéder au sein d’une même séance, manifestent ostensiblement dans les procès-verbaux de délibérations le républicanisme de la société populaire. Tout d’abord, on rapporte les acclamations rituelles qui ouvrent les séances, et l’une d’entre elle est récurrente : « Vive la République[10] ». Une République que l’on va s’attacher très vite à qualifier, en écho aux décrets de la Convention Nationale de septembre 1792 : « Vive la République une et indivisible », « Vive la République française une et indivisible[11] ».  Par ailleurs, qualifier la République consiste également, pour les sociétaires, à en définir l’essence et la finalité : la démocratie ! Effectivement, s’il peut paraître évident pour un citoyen du XXIème siècle d’associer, de lier en France République et démocratie, quoique, ce lien n’était pas assuré au XVIIIème siècle. Souvenons-nous que Montesquieu avait indiqué que la République pouvait adopter les formes d’une démocratie ou d’une aristocratie[12]. Les Antipolitiques d’Aix n’avaient probablement pas lu Montesquieu, notamment les plus modestes, analphabètes, mais avaient certainement connaissance des saillies de Camille Desmoulins – ils étaient liés au conventionnel Moïse Bayle, qu’ils reconnaissaient pour l’un de leurs membres[13], et qui d’ailleurs leur faisait adresser le Bulletin de la Convention[14]. Desmoulins, en écho à Montesquieu, pour explicitaient de façon lapidaire les conceptions républicaines qui opposaient Girondins et Montagnards, désignaient les premiers comme « républicains aristocrates » quand les seconds étaient « républicains démocrates[15] ».


Ainsi, pour les Antipolitiques, la République est la démocratie : « Vive la République […] démocratique[16] » écrit-on régulièrement. Si la Révolution avait été perçue par les Antipolitiques comme la restauration de la liberté antique perdue – on affirmait d’ailleurs, à l’établissement du cercle, « L’homme ne vit véritablement qu’en homme libre, et ne goûte aucun plaisir vrai sur la Terre, si la liberté [ne le lui ai pas échu au] lui départ[17] ? » – la République était de facto l’annonce du règne de l’égalité.


Ainsi, alors que l’on écrivait, dans les premiers temps du nouveau régime, « L’an 4ème de la liberté », on ne manquait pas d’ajouter « & le 1er de l’égalité[18] » – à noter qu’il ne s’agit pas là à proprement parler d’une originalité antipolitique[19]. Actons qu’il ne s’agissait pas d’une simple déclaration d’intention ni d’un pur effet de style, comme l’attestent les nombreux combats de la société populaire en faveur des pauvres. L’une des grandes forces du club fut même de se saisir de la « question sociale » – l’expression peut paraître anachronique, je vous prie de m’en excuser – pour la porter fondamentalement dans le champ de l’action politique – et jamais décorrelée des principes de liberté ou de « laïcisation ». A ce titre, le combat pour l’application du Maximum est éloquent, nombre de séances étant l’occasion de chercher les moyens les plus efficaces d’exercer des pressions fortes sur les corps constitués locaux[20]. On dénonce les accapareurs, on veut les contraindre à respecter les prix du Maximum[21]. Néanmoins, notons que la municipalité d’Aix ne s’était pas laissée désarçonner face à cette attaque en règle du club dont elle était d’ailleurs issue, et renvoya même les Antipolitiques à leur responsabilité, rétorquant que certains membres, eux-mêmes commerçants, ne se pliaient pas à la loi[22]. Le scandale était trop grand, le délit trop grave ; tels Brutus exigeant, au nom de la vertu publique, l’exécution de deux de ses fils qui avaient violé les lois de la République romaine, les Antipolitiques frappèrent, mais ici sans faire couler le sang. Ils prirent la décision d’exclure de leur sein les spéculateurs[23].

Le combat pour le Maximum, pour partie réalisation de cette République démocratique exigée, était d’ailleurs bientôt associé aux acclamations d’ouverture de séance, puisque l’on se mit à crier « Vive le Maximum[24] », parfois souligné, et face aux difficultés précitées, on se sentit obligé d’ajouter « et son entière exécution[25] ». A l’occasion d’une séance, un membre contesta même la rédaction du procès-verbal car on avait omis la mention « Vive le Maximum et son entière exécution[26] ». Remarquons que cette dynamique perdura même après Thermidor – du moins pour un temps –, accueilli plutôt favorablement par ces clubistes montagnards – les Antipolitiques, fers de lance de la déchristianisation en Provence, furent , pour l’essentiel, sur une ligne clairement hébertiste ; une analogie de plus aux Cordeliers.

Oui, c’est bel et bien la République de la Montagne que les Antipolitiques s’évertuèrent à revendiquer – voire à anticiper. Ils le signifient explicitement avec leur registre de délibérations ouvert à la veille de l’insurrection fédéraliste, en avril 1793[27] : on peut y lire « L’an 2 de La République française une et indivisible et La Montagne ». Les pages sont parsemées de Vive la Montagne[28], que l’on crie en début de séance, lorsque là aussi, on ne s’offusque pas de l’avoir omis sur le procès-verbal[29].


Après le 9 Thermidor, que l’on n’envisage pas comme la mort de la Montagne, bien au contraire, on continue à scander cette acclamation. Ces corrections d’omission témoignent que derrière le conformisme politique ou la recherche de consensus identifiés par Haim Burstin[30], il n’y a pas un effacement de l’individu, c’est-à-dire ici du citoyen, pleinement en capacité de contester ce que le bureau exécutif soumettait à son aval. La société populaire devenait, d’une certaine manière, une micro-république dans la République, où l’on faisait l’apprentissage du débat politique, au préalable en s’appropriant les symboles et en soulignant, parfois au sens propre, leur importance.


Déjà, une démonstration, certes sur un registre purement formel, de l’agentivité du mouvement populaire, à partir d’un exemple local. Cette acculturation politique qui allait jusqu’à l’appropriation d’une maîtrise des symboles très forte passait également et bien évidement par la prestation du serment que tout nouveau membre devait prêter[31], serment que l’on avait pris soin de modifier, d’abord au lendemain du 10 août[32], puis après l’installation de la République, quand l’on jurait « d’être fidéle à la nation […] & de vivre & mourir en véritable républicain[33]. » Par ailleurs, les femmes Antipolitiques, disons celles qui fréquentaient le club, lequel avait par-là même un statut hybride, devait prêter serment dès avant la République : « Je jure d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du royaume décrétée par l’assemblée nationale et sanctionnée par le roi, d’élever mon enfant dans les principes de cette Sainte constitution et de les encourager dans leur jeune âge, à vivre libre ou de [à] mourir[34]. »

Je dois ici préciser l’importance de l’étude des sources, en l’occurrence les procès-verbaux de délibérations de la société, et le corpus des Antipolitiques est extrêmement dense.

La prestation de serment amène la dimension sacrée du combat révolutionnaire et, par extension, de la République française, que les Antipolitiques d’Aix inscrivaient tout à la fois dans l’héritage de la Rome antique et de la philosophie des Lumières.


Les manifestations publiques, empreintes de références antiques, et la conquête

Dans un article pour les Annales historiques de la Révolution française, Suzanne Levain relevait que Camille Desmoulins, républicain de la première heure et assurément démocrate, parsemait ses écrits de références antiques explicites et interrogeait : « Desmoulins se rendait-il compte qu’en citant l’Antiquité, il excluait potentiellement tous les lecteurs qui n’avaient pas reçu une éducation aussi soignée que la sienne[35] ? » Toutefois, elle amenait immédiatement une nuance de taille : « On ne peut […] nier l’existence d’une culture de l’Antiquité au-delà du cursus des études : sujet très présent au théâtre, l’histoire et la mythologie antique étaient florissantes surtout en cette fin du XVIIIème siècle dans l’art[36]. » On ne s’étonnera donc pas que les Antipolitiques d’Aix, dont le cœur des membres et ses pourtours immédiats étaient des gens de peu d’instruction – voire sans –, aient pu considérablement imprégner leur républicanisme d’une romanité classique, et ce d’autant plus qu’ils étaient soutenus par une société d’artistes, les Amis patriotes, qui consacraient des représentations destinées au soulagement des indigents[37].


Du reste, quoi de plus naturel dans une cité, Aix, qui est la première ville romaine de France[38] ? Ainsi, les Antipolitiques allaient procéder à une appropriation de la Rome républicaine qui pousserait jusqu’à l’assimilation de figures antiques à des personnalités de la société. C’est à la toute fin de l’année 1792 que la société populaire allait explicitement réaliser ce mariage civique.


Effectivement, tandis que les Jacobins marseillais ambitionnaient d’être « la Montagne de la République[39] », les sociétaires aixois ne revendiquaient rien moins que la filiation avec la République romaine ; ils étaient héritiers de Brutus, son fondateur, celui-là même qui chassa le dernier roi de Rome, Tarquin le Superbe. Dans le contexte de décembre 1792 et les délibérations relativement au futur procès du roi, la portée politique du geste est considérable. On rapportait donc ainsi le déroulement de la séance extraordinaire du 27 décembre 1792 :


« La société assemblée extraordinairement pour aller chercher en cérémonie le buste de l’illustre républicain Brutus, le citoyen président a ouvert la marche avec le citoyen président des comités. […] On a été à la Commune prendre le corps administratif et de là [les clubistes] se sont portés à la maison du citoyen maire prendre le buste du républicain Brutus[40]. »


Au-delà des marqueurs proprement révolutionnaires, nous serons attentifs au fait que la société populaire est identifiée comme un acteur politique de premier plan. Acceptée ou non comme tel, elle réussit néanmoins à prendre les officiers municipaux et le rituel élaboré amène le cortège jusque chez le maire. La pression sur la commune devait être très forte, et ce jour-là en présence de députés Marseillais – les Antipolitiques pouvaient s’appuyer sur eux en même temps qu’ils leur démontraient leur assise sur la ville. De surcroît, les Antipolitiques ne demandent pas le buste de Brutus, ils ne prient pas la Commune de le leur remettre, ils vont le chercher en corps ! Le défilé n’est pas ici qu’un cérémonial patriotique et républicain, il s’agit d’une véritable démonstration de force. Quant à la filiation entre, sinon Rome républicaine et la société populaire, mais entre la première et la ville d’Aix, elle allait être poussée à un degré paroxystique, puisque l’on délibéra que l’on ferait faire « le buste du digne citoyen maire et du digne citoyen Ferréol, commandant d’un bataillon national », de part et d’autre du buste de Brutus[41]. De surcroît, un membre de la société offrit « un distique pour être mis au bas du buste de Brutus, connu en ces termes :


« Rome a gardé mon Corps, Aix aura mon génie. »


On pouvait difficilement faire plus clair. Brutus, lègue fondateur de la République ; le maire, garant de la Révolution de l’Égalité ; le commandant de la Gardes Nationale, son bras armé. Et à travers ce triomphe républicain, les Antipolitiques disaient implicitement qu’ils étaient les défenseurs de la patrie en cette ville d’Aix, protégeant les « Sans-culottes » et veillant à l’exercice vertueux du pouvoir par les mandatés, escortés au lieu de leur administration. Ce récit antico-moderne gravé dans le marbre fut parachevé au printemps 1793, lorsqu’un membre proposa de porter dans la société le buste de l’abbé Rive, « père-fondateur » du club, afin de le placer à côté du buste de Brutus[42]. » La société était alors déjà aux prises avec les sections de la ville.

L’assimilation à Brutus ne se ferait pas uniquement par le prisme d’un buste dans la salle, mais également par l’adoption de son nom comme pseudonyme. Ainsi, le citoyen Raynaud, Antipolitique canal historique, adjoint-il à son nom, en 1793, celui de l’illustre personnage[43], quand il ne se fait pas simplement appelé « Brutus[44] ». Par ailleurs, nous relèverons, sur le même registre, un emprunt aux philosophes du siècle ; ainsi, un Antipolitique se fait appeler Voltaire[45] – orthographié « Volthere », ou « Voltere[46] ». Cependant, la démarche finit par choquer quand elle devient illégale, un membre évoquant le 14 fructidor an II (31 août 1794) l’« infraction qui vient de se commettre à un décret de la Convention Nationale. Il a entendu nommer le Citoyen Reynaud Brutus, tandis que par ce même décret, il est défendu aux citoyens de se décorer des noms des grands hommes[47]. » On interdit donc de porter à l’avenir le nom des « hommes illustres que leur Patrie s’est honorée de posséder[48] », mais la délibération ne fut pas tenue puisque le 22 vendémiaire an III (13 octobre 1794), on nommait commissaire pour la rédaction d’une pétition le citoyen… Volthère[49] !

Les porteurs originels de ces illustres noms n’en furent pas pour autant laissés pour compte, bien au contraire. Effectivement, le 3 vendémiaire an III (24 septembre 1794), un membre offrit à la société les bustes de Voltaire et Rousseau, dont on affirmait que « par leurs lumières & par leurs sublimes écrits », ils n’avait rien moins fait que de préparer « notre heureuse Révolution[50] », du sein de laquelle était née la République.


Oui, aux Antipolitiques, on revendiquait la République française comme fille des Lumières, et la fille avait permis le triomphe de la Raison sur les cultes, sur tous les cultes. En effet, lors de la séance du 11 germinal an II (31 mars 1794), « Un membre, au nom du comité, annonce à la société que les prêtres qui étaient encore dans cette Commune ont abdiqué leurs fonctions et que la raison et la philosophie ont renversé tous les cultes[51] » ;


effectivement, il ne s’agissait pas d’envisager le seul catholicisme comme obstacle à la raison et aux progrès de la Révolution portés par une République que les clubistes voulaient complètement laïcisée, puisqu’ils se félicitaient également que « les citoyens attachés au culte israélite » avaient fait d’eux-mêmes l’abandon, nous supposons des fonctions de rabbins. Pour célébrer ce triomphe de la raison sur les cultes, la société délibérait « de faire une adresse à la Convention Nationale pour l’instruire qu’il n’exist[ait] plus parmi [les Antipolitiques] de prêtres […][52] ». Ces clubistes d’extrême-gauche, qui combattaient depuis leur établissement pour une révolution radicale, entendre démocratique et sociale, rappelaient qu’être républicain passait par renverser les croyances et les superstitions. D’ailleurs, dans le même temps de cette délibération, les Antipolitiques lisaient un « nouveau catéchisme républicain[53] ». Protagonistes de premier plan de la déchristianisation, ils décrétaient « que dans chaque séance on en lira une partie pour l’instruction publique et qu’en outre [on] en demandera la lecture chaque decadi dans le temple de la raison[54] » – à savoir la cathédrale d’Aix. Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de l’adhésion, sans la moindre difficulté, au calendrier républicain. D’ailleurs, c’est de façon lapidaire et péjorative que l’on évoquerait le grégorien en réclamant l’application de la loi du 17 septembre 1793, datation qualifiée de « vieux style[55] ».

L’ensemble de ces choix tranchés doit nous permettre de réaliser que les Antipolitiques n’envisageaient pas comme recevable un « républicanisme de demi-mesure » ou une « révolution sans révolution[56] ». Toute volonté de nuancer le républicanisme, entendons de relativiser ses principes, l’application des mesures démocratiques, sociales, anti-religieuses ou d’exception en période de crise, en somme, toute forme de modérantisme, étaient immédiatement perçues comme suspectes. D’ailleurs, le modérantisme était explicitement associé à la Contre-Révolution. A titre d’exemple, un extrait de la séance du 2 vendémiaire an III (23 septembre 1794), lorsque les clubistes refusent de répondre à la sollicitation de détenus à Orange – dans le Vaucluse.


« Après avoir lu une page de cette lettre dont les principes de modérantisme sont tous opposés aux principes purs & Révolutionnaires que notre société professe constamment & ne cessera jamais de professer », le club « délibère d’avoir en exécration de tels principes qui paraissent [contraires ?] au Gouvernement Révolutionnaire & a manifesté son mépris pour les signataires de cette lettre, dont la lecture a été discontinuée du moment que la société s’est aperçue du style, sinon contre-révolutionnaire, du moins modéré que cette lettre présente[57]. »


Les protagonistes populaires de la Révolution française à Aix furent donc, sinon le, du moins un fer de lance du républicanisme en Provence, un républicanisme sans concession – dimension démocratique, « laïcisation », visée économique et sociale, indivisibilité de la République – d’où la qualification de « radical » signalée en début de communication. Les Antipolitiques, en tant que club à la sociologie plutôt populaire, offre une originalité d’approche par rapport à notre thématique de recherche. Je me permets d’insister sur la richesse du matériau, PV, adresses et la correspondance considérable du club.


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia, Doctorant Université Lille III, IRHiS.
 


[1]
Histoire d’Aix-en-Provence, coll., Aix, Edisud, 1977, P. 234, « Entre Révolution et Contre-Révolution », p. 234.

[2] Bibliothèque numérique Gallica, Bibliothèque Nationale de France, 8 – LN27 – 34846 (6) : Lettres des vénérables frères antipolitiques et de l’abbé Rive, présentée à MM. Les commissaires du Roi, dans le département des Bouches-du-Rhône, le 13 janvier 1791 avec une autre lettre du même abbé Rive, aux mêmes  commissaires, p. 16.

[3]
ADBR, L 2032 : Procès-verbal de délibérations du 25 ventôse an III (15 mars 1795), p. 139.

[4] Albert Mathiez, Le Club des Cordeliers pendant la crise de Varennes et le massacre du Champs-de-Mars, Nouveaux documents inédits, publiés avec des éclaircissements et des notes, Librairie ancienne Honoré Champion, Editeur, 1913.

[5]
Aff. 1792, 2 : Adresse des citoyens actifs, connus dans la ville d’Aix, sous le nom des frères anti-politiques, portant adhésion solennelle de leurs frères de Caen, à l’Assemblée nationale [suivie de] Adhésion des Amis de la Constitution de cette ville ; adresse au Roi des Français, 1er janvier 1792.

[6]
Les archives de la Révolution française ; 6.2.2699 : Adresse des citoyens de la ville de Caen, département du Calvados, à l’Assemblée nationale ; Au roi : adresse des citoyens de la ville de Caen, département du Calvados ([Reprod.]), 28 décembre 1791.

[7]
Les archives de la Révolution française ; 6.2.2699, […], op. cit., PP. 2-3.

[8]
ADBR, L 2027 : Procès-verbal de délibérations du 4 juillet 1792.

[9]
ADBR, L 2027 : Procès-verbal  de délibérations du 26 juillet 1792, p. 29.

[10] ADBR L 2029 : Registre de procès-verbaux de délibérations, page de garde.

[11] ADBR L 2028 : Procès-verbal de délibérations du 6 frimaire an II (26 novembre 1793), p. 163.

[12]
Charles de Secondat de Montesquieu, De l’esprit des lois, 1758, Le CDI École alsacienne, Edition électronique, Édition établie par Laurent Versini, Paris, Éditions Gallimard, 1995.

[13]
Sur l’adhésion du 1er janvier 1792 à l’adresse de Caen, son nom est inscrit en deuxième, après celui du Président Ferrand, alors qu’il n’est pas même secrétaire, Fond patrimonial de la bibliothèque municipale Méjanes d’Aix en Provence, Aff. 1792, 2 : Adresse des citoyens actifs, connus dans la ville d’Aix, sous le nom des frères anti-politiques, portant adhésion solennelle de leurs frères de Caen, à l’Assemblée nationale [suivie de] Adhésion des Amis de la Constitution de cette ville.

[14] ADBR, L 2027 : procès-verbal de délibérations du 12 octobre 1792, pp. 69-70. « Député à la Convention Nationalle » a été ajouté en marge.

[15] Hervé LEUWERS, Camille et Lucile Desmoulins : un rêve de République, Chapitre 13, Les brissoteurs de démocratie, Fayard, 2018, pp. 243-247.

[16]
Pour exemple, ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 2ème messidor an II (20 juin 1794), p. 84/264.

[17] AD BR, L 2025 : Cercles des Antipolitiques établis dans la ville d’Aix le 1er novembre 1790, Discours d’ouverture, p. 2.

[18] ADBR, L 2027 : procès-verbal de délibérations du 27 septembre 1792, p. 58.

[19] Cf. Côme Simien, Vie et abandon du Calendrier révolutionnaire, Le Paratonnerre, 8 septembre 2022, http://leparatonnerre.fr/2022/09/08/vie-et-abandon-du-calendrier-revolutionnaire/

[20]
ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 24 floréal an II (13 mai 1794), p. 58/205.

[21]
ADBR, L 2031 : procès-verbaux de délibérations des 8 floréal an II (27 avril 1794), p. 48/186 et 7 fructidor an II (24 août 1794), p. 147/395.

[22]
ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 10 floréal an II (29 avril 1794), p. 50/189.

[23] ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 23 floréal an II (12 mai 1794), p. 57/203.

[24]
ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations de la 2ème sans-culottide (18 septembre 1794), p. 191/530.

[25] ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 5ème sans-culottide (21 septembre 1794), p. 194/552.

[26] référence

[27] ADBR, L 2029 : registre commencé le 28 avril 1793, page de garde.

[28] Pour exemple : ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations 3 prairial an II (22 mai 1794), p. 62/214

[29] ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 4 vendémiaire an III (25 septembre 1794), p. 204/571-572

[30] Haim Burstin, L’invention du sans-culotte, Regard sur le Paris révolutionnaire, Chapitre II, Sans-culottes et Jacobins, Avant-gardes politiques, militants révolutionnaires et masses populaires, La notion de sans culotte : entre idéal tyoe et stéréotype, p. 77.

[31] ADBR, L 2027, L 2028 et L 2029 : procès-verbaux de délibérations de septembre 1792 à mai 1793.

[32]
ADBR, L 2027 : procès-verbal de délibérations du 21 août 1792, p. 42.

[33] ADBR, L 2027 : procès-verbal de délibérations du 30 octobre 1792, p. 80.

[34]
ADBR, L 2027 : Procès-verbal de délibérations du 10 janvier 1792, p. 160.

[35] La magistrature de la presse au miroir de l’Antiquité selon Camille Desmoulins, le public des Révolutions de France et de Brabant face à la référence à l’Antiquité, Annales historiques de la Révolution française, N° 384 – Avril-Juin 2016, avec le soutien de l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS et du Centre National du Livre, p. 57.

[36] Ibid.

[37] Jean-Baptiste Budjeia, La société des Antipolitiques d’Aix période II – 10 août 1792-8 juin 1793, IV) Une vocation sociale et une mission « d’éducation populaire » – Soulager les indigents (10 août 1792-2 juin 1793), Mémoire de recherche de Master II, sous la direction de Marc Belissa, Université Paris Nanterre, 2020.

[38] Elle fut fondée en 122 avant Jésus-Christ par le Consul Caius Sextius Calvinus.

[39] Jacques Guilhaumou, Marseille républicaine (1791-1793), Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992, Chapitre 3, Le fédéralisme jacobin, Premier moment (hiver 1792-1793), La « politique révolutionnaire » des Jacobins marseillais (janvier-avril 1793), Un trajet thématique : de la dénonciation des appelants » à l’autodésignation « Montagne de la République », p. 160.

[40] ADBR, L 2028 : procès-verbal de délibérations du 27 décembre 1792, séance extraordinaire, p.25.

[41]
Ibid.

[42] ADBR, L 2028 : Procès-verbal de délibérations du 21 avril 1793, séance extraordinaire à 9 heures du matin, p.118.

[43] Voir ADBR, L 2031 : notamment procès-verbal de délibérations Du 18. florèal an 2 (7 mai 1794) de la RFUI, 54 / 198.

[44]
Voir ADBR, L 2031 séance du 8 prairial an 2 (27 mai 1794) de la RFUID, 65 / 220

[45] ADBR L 2031 voir notamment PV de délibérations des séances des 27 fructidor an 2eme de la RFUID (13 septembre 1794), pp. 182 / 510-511, et 29 fructidor an 2nd de la RFUID (15 septembre 1794) , pp. 188-189 / 524-525.

[46] Procès-verbal de délibérations de séance du 27 fructidor an 2eme de la RFUID (13 septembre 1794), 181 / 509-510.

[47] ADBR L 2031, Procès-verbal de délibérations de séance du 14 fructidor an II (31 août 1794), pp. 157 / 419.

[48] Ibid.

[49]
ADBR L 2031, procès-verbal de délibérations de séance du 22 vendémiaire an III (13 octobre 1794), p. 233 / 715.

[50] ADBR L 2031 : procès-verbal de délibérations de séance du 3 vendémiaire an III (24 septembre 1794), pp. 202-203 / 567-569.

[51]
ADBR L 2031, Procès-verbal de délibérations de séance du 11 germinal an II (31 mars 1794), p. 25/128.

[52] ADBR, L 2031 : procès-verbal de délibérations du 11 germinal an II (31 mars 1794), p. 25 / 128.

[53]
Ibid.

[54] Ibid., p. 25/127.

[55] ADBR L 2031, procès-verbal de délibérations de séance du 16 vendémiaire an 3eme de la RFUID (7 octobre 1794), p. 221 / 625

[56]
Réponse de Robespierre à Louvet lors de la séance de la Convention du 5 novembre 1792, Cf. Hervé Leuwers, Maximilien Robespierre, Presse Universitaire de France, 2019, p. 155 à 183, https://www.cairn.info/maximilien-robespierre–9782130800279-page-155.htm

[57]
ADBR L 2031, procès-verbal de délibérations de séance du 2 vendémiaire an III (23 septembre 1794), p. 199 / 561.


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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