La République française, une tradition moderne ?

La République française, une tradition moderne ?

PREALABLE : Cet article rédigé en novembre 2020 le fut pour le parti Gauche Républicaine et Socialiste (GRS, d'accord, on repassera pour le nom), à la demande d'un cadre. Il ne fut jamais publié sur le site du parti, et pour cause, j'y évoque la laïcité dans son essence RADICALE et appelle à la nécessité de contrôler et de limiter l'immigration. J'avais pris finalement la décision de publier l'article en février 2021 sur mon site lhistoirealaloupe.com , sans la moindre modification.
           
        La République française serait-elle une expression vide de sens, la simple juxtaposition d’un nom et d’un adjectif devenus tellement courants que l’on en aurait perdu l’essence ? En ces temps de crise grave où l’équilibre de la Nation et la paix civile sont menacées, il nous paraît fondamental de nous réapproprier un concept, une histoire, une façon de faire de la politique. Relevons tout d’abord une banalité apparente, à l’heure où certains esprits – de camps parfois adverses – voudraient opposer « République » et « France ». S’il est un lieu commun d’affirmer que la République française n’est ni la République fédérale nord-américaine ni la République populaire de Chine, encore faut-il savoir pourquoi et en quoi. Notre République est profondément ancrée dans nos racines, dans une Histoire qui puise à la source antique, « à l’École de Rome ». Notre République est ancrée dans la culture française : celle des belles-lettres, des grands auteurs, des dramaturges d’hier aux romanciers d’aujourd’hui ; une culture qui fait se côtoyer la Philosophie et les Beaux-Arts. Nous devons nous souvenir que les Humanités sont aux fondements de la République française. Si la République des Lettres a précédé le régime républicain en France, elle l’a assurément nourri, et ce, dans le but de forger la pensée libre. D’aucuns ne verront ici que des grandes incantations, voire un lyrisme dépassé. Curieux – et honteux ? – paradoxe que ce qui fonderait, peut-être, la modernité, soit jugé obsolète par les partisans de l’utilitarisme primitif, dont le paroxysme prend des allures de consumérisme débridé, ceux-là même qui peuvent également s’offusquer, à raison, que l’on puisse caractériser des commerces comme non-essentiels, à l’instar des études jugées hier « non-utiles ». Les crises actuelles pourraient bien révéler, enfin, ou nous rappeler, que la capacité à penser le monde et le cas échéant trancher fermement, sont bien plus essentiels que les clercs de la « post-modernité » et de « la fin de l’Histoire » ont bien voulu nous le dire et faire répéter comme un mantra.

Dans cette période charnière que nous vivons, il est… utile, de se souvenir ce qu’engage la République française, démocratique, laïque, souveraine et sociale !

 

            Certes, l’Histoire de France ne commence pas en 1789 et il n’est pas question de gommer d’un trait de plume dans les ouvrages la monarchie catholique, mais incontestablement, la Révolution française est l’acte fondateur de notre culture politique, l’acte fondateur de ce qui allait devenir la République française. En accord avec la philosophie de Montesquieu, les patriotes estimaient que la monarchie constitutionnelle, déjà, était une Res publica. En effet, désormais, le peuple était le souverain, le roi n’était plus que le premier des citoyens. Certes, de 1789 à 1792 s’opposent deux visions de la Révolution et se dessinent déjà une contradiction entre la légalité – des « décrets anticonstitutionnels » – et la légitimité – d’une action politique populaire et démocrate portée par ceux qui s’arriment à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le vaste mouvement de la sociabilité politique, ou des sociétés populaires, serait l’illustration vibrante de cette appropriation de l’exercice politique par les Citoyens. Ainsi, le réseau des clubs Jacobins, dans les villes et les campagnes, réseau totalement décentralisé soit dit en passant ; les affiliations de sociétés, dans toute la Provence et même au-delà, aux Antipolitiques, dont le premier club, à Aix, était porté par des cultivateurs et des artisans ; le très démocratique et populaire Club des Cordeliers, à Paris ; toutes ces associations politiques, sous la monarchie constitutionnelle déjà, puis sous la République, ont exercé des missions de veille et de vigilance. Leurs membres ont parcouru le territoire pour « faire parler la loi » selon l’expression proposée par l’historien Jacques Guilhaumou. Ces citoyens, hommes et femmes, se sont engagés dans la défense de la Patrie, les armes à la main, ou en organisant des contributions « sociales » pour venir en aide aux familles des volontaires. Ils ont exigé la régulation des prix, se sont battus pour cela dans les départements, avant de l’obtenir par la loi, quand ils ne l’avaient tout simplement pas arraché sur leurs communes. Leurs séances, généralement ouvertes au public, ont contribué à l’instruction du peuple, à diffuser largement la presse, à élaborer des projets « d’éducation populaire » afin d’assurer aux enfants l’accès au savoir, ou à essayer de le faire. Des missions que les députés de l’Assemblée Législative, puis de la Convention, prirent à bras le corps à travers les projets portés par les Comités d’instruction publique. Les Jacobins, les Cordeliers, les Antipolitiques, les citoyennes et les citoyens engagés dans les départements ont façonné la « République » avec qu’elle ne soit un régime. Il n’est pas question de faire l’impasse sur les protagonistes nationaux, qu’ils se fussent appelés Desmoulins, Robespierre, Marat, Danton, … mais les « citoyens ordinaires » ne furent pas les simples spectateurs de l’évènement, loin s’en faut ! Cela doit nous amener à comprendre que l’instruction populaire est une arme politique ; le citoyen éclairé jouit d’un esprit libre et détient un réel pouvoir d’influence et d’action. Le savoir, c’est le pouvoir. C’est la raison pour laquelle, durant tout le XIXème siècle, les courants socialistes pensent l’instruction ; un combat qui serait porté également par le Commune de Paris en 1871, qui aboutirait à une réalisation dans le cadre de l’École, sous la IIIème République, avec les lois de 1881 et 1882 portées par le républicain opportuniste Jules Ferry. Cette flamme du savoir et de l’éveil de l’esprit, cette volonté d’ouvrir aux masses populaires l’accès à la culture, et même au loisir, fut évidemment au cœur de la démarche des réseaux d’Éducation populaire, du Front populaire en 1936, trouvant peut-être son point d’orgue avec le sous-secrétariat d’État au Sport et à l’organisation des Loisirs de Léo Lagrange. Sculpter l’esprit à l’aune de la culture et de la science pour affûter la pensée et ainsi, remettre au citoyen les armes lui permettant d’être un membre agissant dans le corps civique. Chaque individu, d’où qu’il vienne, peut s’engager au service de la loi commune,  participer à l’élaboration de celle-ci et s’y « soumettre » ; car en effet, le rôle de la loi juste, est de protéger et de libérer, même lorsqu’elle interdit. Ici, la République est démocratique. En réinvestissant la Révolution française, en observant les sociétés populaires, on constate déjà que la volonté d’instruire le peuple avait une finalité émancipatrice, et celle-ci, revendiquant l’héritage de la philosophie des Lumières, a poursuivi la lutte engagée contre l’obscurantisme et l’influence de la religion.

            

            L’une des grandes œuvres de la Révolution française fut la réforme de l’Église. En établissant la Constitution civile du clergé en juillet 1790 – après l’échec de la motion de Dom Gerle en avril, qui voulait établir le catholicisme comme religion d’État –, puis le serment civique en novembre de la même année, elle réinvestissait le principe gallican, celui-ci passant du profit du roi à celui de la Nation. Les prêtres et les évêques, désormais élus par les citoyens et rétribués par l’État, étaient des fonctionnaires. Le libre accès des protestants au statut d’électeur, la citoyenneté accordée aux juifs, affirmaient bel et bien que l’on était citoyen français fondu dans le corps social, à égalité devant la loi, la loi de la Nation ayant la primauté sur celle de la religion. Ainsi, lorsque les Antipolitiques établissent leur cercle à Aix le 1er novembre 1790, un orateur à la tribune affirme : « Vous êtes libres, vous ne devez à cette Religion inventée par les hommes seuls d’autre confiance intérieure, et d’autre respect extérieur que celui que vous impose à son égard l’ordre civil qui vous gouverne, parce que c’est cet ordre seul qui a pu autoriser vos prétendus inspirés à l’établissement de leurs cérémonies extérieures. » L’absence de sacralité ne devint pas pour autant la norme, car la loi revêtit ce caractère sacré. D’ailleurs, aux Antipolitiques comme ailleurs, on plante des arbres de la liberté, on parle de « l’Auguste Assemblée Nationale », on prête serment, on met en place des rituels, bref, on façonne une « religion civique ». Ce transfert de sacralité, ce besoin d’une forme de « spiritualité civique », aboutit à l’établissement du culte de l’Être Suprême – initialement proposé par Danton et non par Robespierre – et la « laïcisation » – relevons immédiatement que l’on ne peut parler de laïcité sans verser dans l’anachronisme – de la société et des institutions civiles poussa jusqu’à l’établissement du calendrier révolutionnaire et ses vendémiaire ou fructidor. Entre-temps, des journalistes comme Desmoulins ne manquèrent pas de pourfendre l’institution religieuse ni même de moquer la religion. La Révolution avait aboli le délit de blasphème !

Il ne faut pas oublier les conflits religieux, la guerre civile de religion ; il ne faut pas négliger « l’activisme » tout aussi convaincu d’un clergé « non-jureur » – ou réfractaire – et du lien avec la contre-révolution. Face à ce danger, la Révolution, la République françaises, ne faiblirent pas, ne transigèrent pas ! Il est faux de prétendre, comme peuvent le faire aujourd’hui les tenants d’un relativisme cultu(r)el délétère, que la France n’a pas connu de problème de tensions religieuses avant la présence de l’islam, cherchant ainsi à plaider en faveur de perpétuels accommodements déraisonnables. La République française a été ferme hier, elle doit l’être aujourd’hui !

En septembre 1794, la Convention décrète « La République ne paie ni ne salarie plus aucun culte. » Le 21 février 1795, elle décidait… la séparation de l’Église et de l’État ! Voilà deux évènements qui seraient, en 1905, deux précédents. Cependant la Convention thermidorienne permit le retour des émigrés, la pratique du « culte réfractaire » ; les tensions religieuses, loin de s’apaiser, se renflammèrent. C’est ce qui explique que l’on parle du souci du Consul Bonaparte de rétablir la paix religieuse – et avec l’Église romaine –, voilà qui mène à l’adoption du Concordat de juillet 1801. Celui-ci stipule alors en préambule que « la religion catholique, apostolique est romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français. » Pour autant, l’héritage issue de la récente Révolution française ne disparaît pas, il serait même l’un des points de clivage entre républicains et monarchistes ou bonapartistes sous la Deuxième République. Cette opposition se cristallise probablement dans le duel que se livrent, à l’Assemblée, le Ministre de l’Instruction publique, le Compte Alfred de Falloux, et le député Victor Hugo. Si le premier revendique « Dieu dans l’éducation, le Pape à la tête de l’Église, l’Église à la tête de la Civilisation », le second déclare qu’il veut « l’État chez lui, l’Église chez elle. » Hugo, dont rappelons qu’il évolua de l’ultra-droite à la gauche républicaine, affirmait « L’État n’est pas et ne peut pas être autre chose que laïque. » Duel perdu par Hugo, mais combat poursuivi par les socialistes, les radicaux, les anarchistes, … Enfin, avec la IIIème République, la nécessité d’un néologisme, la Laïcité, pour définir un concept qui n’était pas l’exclusive de l’État, mais qui engageait l’ensemble de la société. Aussi Ferdinand Buisson écrivit-il dans son Dictionnaire de la Pédagogie (1887, réédité en 1911) : « Malgré les réactions, malgré tant de retours directs ou indirects à l'ancien régime, malgré près d'un siècle d'oscillations et d'hésitations politiques, le principe a survécu : la grande idée, la notion fondamentale de l'État laïque, c'est-à-dire la délimitation profonde entre le temporel et le spirituel, est entrée dans nos mœurs de manière à n'en plus sortir. Les inconséquences dans la pratique, les concessions de détail, les hypocrisies masquées sous le nom de respect des traditions, rien n'a pu empêcher la société française de devenir, à tout prendre, la plus séculière, la plus laïque de l'Europe. » Pour l’un des pères fondateurs de la Laïcité, avant-même qu’elle ne soit décrétée, celle-ci n’est pas seulement républicaine, elle est une composante de l’identité française ! La Laïcité est un principe de philosophie politique que la loi de 1905 n’est pas venue définir, mais a traduit en droit. Elle est aussi une spécificité française et la République n’entend pas que d’autres États, y compris partenaires, alliés, amis, lui dictent sa conduite à tenir à l’endroit des questions religieuses.

 

            La Nation décide, la Nation est souveraine. La Nation, c’est l’assemblée des citoyens ; la Nation, c’est donc le Peuple. L’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, à la tête de notre bloc de Constitutionalité, stipule « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. » La Nation est donc, dans la République française, le cadre et la condition de la Démocratie. C’est parce que la Nation républicaine est indépendante qu’elle est souveraine. Aussi, il nous paraît important de souligner que si le terme de souverainisme existe, c’est parce que les politiques européistes, fédéralistes, voire atlantistes, ont procédé, en violation du principe de souveraineté nationale – et jusqu’à jeter aux ordures le Référendum du 29 mai 2005 –, au transfert de la souveraineté du peuple et de ses représentants à des instances dont la légitimité démocratique est discutable. Le néologisme « souverainisme » n’est rien d’autre que la revendication de ce dont il est fondamentalement : la souveraineté ! Une Nation n’est d’ailleurs pas souveraine du seul fait de proclamer et de défendre ses principes et les valeurs qui en découlent. Une Nation est souveraine lorsqu’elle a la maîtrise de sa politique. La crise liée à la Covid-19 et à sa gestion a révélé aux naïfs et aux euro-libéraux béats les fractures graves qu’ils n’avaient pas voulu voir jusqu’alors. Ainsi, l’on admet que les milliards que l’on n’avait pas investi dans l’Hôpital, et ce malgré les nombreux cris d’alerte lancés par les professionnels de santé, sont bel et bien des milliards perdus, et pis, des vies inutilement sacrifiées ! La santé publique et la sécurité sanitaire des citoyens ont été sacrifiées sur l’autel d’une vision « court-termiste », une vision de gestionnaires – dont la responsabilité ne peut incomber au seul gouvernement actuel – prisonniers d’un dogme : le libéralisme à tout crin, c’est-à-dire y compris sur ce qui n’est pas et ne peut pas être une marchandise. La République française est souveraine si, par exemple, elle est maîtresse de sa politique publique de santé.

On a voulu faire croire que la notion « d’État stratège », que la volonté de régulation économique, la nécessité de mettre au pas les marchés, ou encore que les projets même les plus « modérés » de taxation des spéculations et transactions boursières, étaient non-seulement dépassés, obsolètes, mais en plus étaient des formes de « relents bolchéviques », du stalinisme presque. Pourtant, force est de constater que les politiques favorables à un capitalisme débridé, la désindustrialisation et son corollaire les délocalisations, n’ont pas apporté, loin s’en faut, la prospérité économique et le bonheur de tous les peuples promis par les « grands prêtres » de la religion libérale. Ainsi, les être humains sont les protagonistes d’une concurrence marchande dérégulée permanente, y compris au sein de l’Union européenne. Les crises sociales que cela provoque, ajoutées aux conflits au Proche-Orient, génèrent des flux migratoires conséquents. Par ailleurs, la République française est souveraine lorsqu’elle a la capacité et la volonté de réguler ces flux migratoires. Réguler l’immigration et en avoir le contrôle n’est pas, comme le répètent paresseusement certains, de la xénophobie. C’est une démarche de bon sens qui permet de préserver l’équilibre de la Nation, la paix civile, autant que d’accueillir, dans la mesure de ses capacités, celles et ceux qui désirent être français ou fuient la guerre. Il apparaît alors évident de définir clairement ce qu’est l’asile politique et de le distinguer tout aussi clairement, dans la réalité des faits, de l’immigration économique, qu’un État souverain est légitime à réguler.

Lorsque l’on évoque la souveraineté du Peuple, une certaine oligarchie, une classe politique et médiatique conservatrice – quand bien même elle se dit « progressiste » – a vite fait de dégainer l’arme absolue : « populisme ! » Ainsi, comme jadis les Girondins taxaient les démocrates d’« anarchistes » ou de « niveleurs » dans le but de les discréditer auprès des « possédants », le sobriquet « populiste » entend disqualifier celui qui en est affublé, accusé de ne s’adresser qu’aux émotions et aux bas instincts de son auditoire, « la plèbe ». Tous les arguments fallacieux, y compris les plus ridicules, sont employés pour éviter de parler de politique. La campagne et le résultat du Brexit ont atteint de ce point de vue-là un paroxysme ; rendez-vous compte, les Anglais ne viendront plus acheter des pommes en Normandie ! La République souveraine n’est pas la France emmurée dans un hexagone, ne parlant qu’à elle-même. Bien au contraire, la République souveraine est celle qui a la maîtrise de ses relations diplomatiques, en Europe bien sûr – dont il faut rappeler l’évidence, elle est un continent avant d’être une entité opaque et pas réellement démocratique – et à l’international. Le Général De Gaulle n’était pas moins l’allié des États-Unis d’Amérique en entretenant des relations diplomatiques avec l’URSS ou en recevant Khrouchtchev. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’O.T.A.N., décidé par Nicolas Sarkozy, est un renoncement à notre souveraineté induisant une volonté d’alignement sur la politique américaine. Les déclarations du – probable – futur ex-président Trump avaient de surcroît souligné la fragilité de l’édifice, dont Emmanuel Macron lui-même avait affirmé qu’il était « en état de mort cérébrale ». Nonobstant, les questions relatives au « souverainisme » se cristallisent essentiellement autour de l’Union européenne ; celle-ci n’est pas une Nation. Si la République française est le membre moteur de l’U.E. – sans la France, il n’y a plus d’Union européenne –, elle n’a pas à se faire dicter sa politique et ses choix par une commission exécutive dont les membres ne sont même pas élus par les citoyens. La République française doit discuter, dialoguer, avec ses partenaires, mais elle doit rester souveraine, car le Peuple est le noyau atomique de la Démocratie !

 

            Le citoyen est assurément au cœur de la Nation. Sa liberté, qui est un droit inaliénable et paradoxalement conquis de hautes luttes, engage sa responsabilité. Les droits de l’individu sont aussi ses devoirs à l’endroit de la collectivité, la Nation étant une « communauté de destin ». Aussi, la liberté du citoyen ne doit pas être confondue avec l’individualisme délétère qui anéantit la conscience humaine et les devoirs que nous avons les uns envers les autres. En 1791, l’abbé Rive, « inspirateur » des Antipolitiques, écrivait : « Sommes-nous libres en France, ou la liberté dont on nous y flatte, n'est-elle qu'un leurre ? C'est ce qu'il faut nécessairement expliquer au Peuple. Si nous y sommes véritablement libres, nous y sommes égaux, parce que nous y sommes tous hommes, & qu'il n'y a point d'homme qui y soit plus homme qu'un autre. » Nous devons penser la liberté à l’instar de la conception des Montagnards pendant la Révolution française : la liberté est un lien social en République. La République française assure la Liberté parce qu’il y a l’Égalité et cette dernière ne peut pas être qu’une promesse, elle doit être un combat. La Fraternité qui en découle est sa quintessence. La valeur qui résulte de la fraternité républicaine est la solidarité ; dès lors, nous pouvons penser et façonner la République sociale. Les services publics n’en sont pas la finalité, mais ses moyens de réalisation – d’où la nécessité d’y mettre justement… les moyens nécessaires ! Outre la santé, l’éducation que nous avons également évoquée, en est le ferment. L’École républicaine, qui a été sabrée de part en part, ébranlée par des méthodes pédagogistes qui ont fragilisés ceux qui étaient accueillis en son sein, doit être bien entendu le temple de la Raison, mais également le cœur et la vitrine de la République sociale. Nous savons cependant qu’il ne suffit pas d’affûter les esprits, d’éveiller les consciences libres en devenir ; il faut également et avant tout se nourrir. L’ouvrier qui produit, l’artisan qui travaille, doit vivre dignement. La répartition des richesses, l’effort demandé à celle ou celui qui a accumulé de la richesse, n’est pas du racket. L’actionnaire qui reçoit des dividendes ne peut impunément s’enrichir sur le dos des femmes et des hommes qui produisent. Il ne peut y avoir d’authentique République, du moins de République démocratique, là où il n’y a pas de justice sociale ! Le salaire brut, celui qui est concédé par l’employé et payé par l’employeur, n’est pas une amputation par des « charges », mais une mutualisation par des « cotisations sociales ». La personne qui se retrouve au chômage après la perte de son emploi, recevant ses indemnités, n’est pas une « assistée » : elle reçoit son dû, car elle a cotisé pour cela, comme elle cotise pour sa retraite. La retraite n’est pas non plus un privilège accordé à « des Gaulois réfractaires » : elle est un droit du travailleur, un devoir de la République sociale ! L’âme de la République sociale réside dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de… 1793 ! Son article 21 proclame que « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » L’article 22 qui lui fait suite affirme quant à lui que « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. » Il n’y a donc pas de contradiction entre d’un côté, l’instruction qui façonne l’esprit patriotique du citoyen, et procède ainsi, osons l’expression, d’un « catéchisme républicain », et de l’autre, les secours publics et le combat contre l’indigence, la mise en place d’une économie sociale au service d’un devoir républicain populaire. C’est précisément – et notamment – cela qui est constitutif de l’essence de la démocratie, de sa définition la plus explicite, livrée à la postérité par Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. » Le politique et l’économie sont liées, n’envisager la République sociale que par le – nécessaire – prisme économique est une aberration. « La garantie sociale consiste dans l’action de tous pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits ; cette garantie repose sur la souveraineté nationale » nous dit l’article 23 de la Déclaration des Droits de 1793. S’il ne faut pas sombrer dans « l’économisme », les républicains démocrates, souverains, laïques et sociaux doivent évidemment avoir une vision économique, ou plus précisément une vision de l’économie politique.  La fiscalité, la finalité de l’impôt, sa juste proportionnalité, doivent être minutieusement pensées. De surcroît, tout entrepreneur n’est pas un capitaliste libéral qui vit dans l’opulence au détriment du peuple. La République sociale doit protéger le salarié qui travaille, produit, comme le patron vertueux qui investit dans l’économie, en soulageant la fiscalité des – vraies – petites et moyennes entreprises. Elle doit aussi avoir une vision stratégique de l’entreprise justement, de l’investissement dans l’industrie, les services, les filières professionnelles du développement durable, veiller à une utilisation raisonnée et raisonnable des ressources naturelles, en somme, imposer que l’économie servît un projet politique. C’est cette démarche fondamentalement politique, emprunte de la vertu, au sens où on l’entendait au XVIIIème siècle, c’est-à-dire un une éthique dans laquelle l’intérêt général prît le pas sur les intérêts individuels et les particularismes, qui fondent la Res publica et qui en font une réalité, non pas seulement une grande incantation.

 

 

            La République, c’est tous les citoyens. La France a ainsi façonné ce régime ; il n’est pas un concept creux que l’on peut décocher comme un trait approximatif à l’occasion d’une joute verbale ; du moins théoriquement. En effet, si la République française repose sur des principes, des valeurs, un cadre, encore faut-il se donner les moyens de les traduire dans la réalité quotidienne. Cela requiert détermination, force et courage politiques. Mais à l’instar de la République, la Politique n’est pas, ne doit pas être, l’affaire de quelques-uns qui laisseraient entendre que l’on serait en démocratie sur le seul prétexte que l’on ait le droit de vote. Chaque citoyen doit se réapproprier les concepts, se responsabiliser et agir. Chaque citoyen doit comprendre que sa liberté est garante de celle de l’autre, que ce qui le concerne dans sa vie intime, familial, et le cas échéant, confessionnelle, n’a pas vocation à régenter la vie civile. Ainsi, la République laïque est par définition une et indivisible, et, toujours par définition, ne peut être « communautariste ». Souvenons-nous que laos, laïkos, c’est le peuple. Ce qui est commun à tous s’impose donc à tous dans l’espace public, civil, politique, où doivent au contraire s’effacer les particularismes. Par ailleurs, le délit d’outrage à la morale religieuse a été aboli en 1881 par la loi sur la liberté de la presse. La République française doit punir sévèrement ceux qui la menacent – et bien au-delà du fanatisme islamique – ; il n’y a pas de contradiction entre autorité de l’État et Démocratie.

Être une République, c’est aussi veiller à l’exercice vertueux du pouvoir, qui est délégué et jamais abandonné, veiller à l’utilisation responsable et au service de l’intérêt général des deniers publics. Pour assurer efficacement, authentiquement ses missions, ses devoirs et être garante des libertés, la République qui protège, qui exige le respect de la loi et le cas échéant qui punit, doit être souveraine et maîtresse de son destin. C’est cette voix que la République française doit faire entendre, c’est cette voie qu’elle doit suivre pour retrouver sa cohésion. 

 

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Auteur, diplômé d’Histoire 


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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