L'art d'enseigner, être enseignant

L'art d'enseigner, être enseignant

La mission d'un enseignant est de transmettre, non de faire un cours. L'enseignant s'évertue à transmettre des savoirs sur le long chemin de la connaissance, et dans cette quête, le cours (n') est (qu') un outil.

L'enseignant est d'évidence celui qui enseigne ; l'étymologie du mot "enseigner" provient du latin insignare, soit « indiquer », « donner une marque », ou encore « distinguer ». Il est important d'être radical, entendre de s'instruire du radical, c'est-à-dire de revenir à la racine, à la source du mot, car c'est elle qui nous révèle l'essence véritable, la substantifique moelle du mot, en l'occurrence « enseigner », j'y reviendrai.

L'enseignant a été au-delà de la maîtrise. Effectivement, à force de travail acharné, de recherche et de passion, il a atteint l'expertise. Celle-ci est le fruit de sa recherche personnelle et permanente. Quelle que soit la matière, la discipline (un autre très joli mot), qu'elle fut intellectuelle, physique, ou les deux, comme c'est le cas des « arts martiaux » authentiques, l'enseignant a consacré et consacre encore et encore de son temps et de son énergie à son entraînement propre. Il l'a enrichi de nombreuses lectures, ou, via l'introspection et la confrontation avec cet interlocuteur par procuration qu'est le livre, il puise toujours à la source. L'enseignant, et c'est théoriquement d'autant plus vrai dans les « arts martiaux », choisit minutieusement ses stages, quand il ne les anime pas lui-même. Relevons qu'anima est « l'âme », animare, « donner vie ».

Pour continuer à progresser, se confronter à d'autres approches, échanger, débattre, se conforter ou remettre en question sa matière et son approche, il a pris et prend du temps dans des séminaires, des formations. Afin d'être meilleur aujourd'hui qu'hier, et pour aller puiser à la source, l'enseignant d' « arts martiaux » doit parfois partir loin, jusqu'au cœur de la jeune forêt, au Pays du Soleil levant ou encore celui du matin calme. Bien moins parce que l'enseignement y serait meilleur que pour s'imposer un processus d'acculturation complet, qui, en l'abreuvant à la source (encore et toujours), lui permet de comprendre intimement ce qu'il transmet. Tout ceci, l'enseignant le prend sur son temps personnel, sur son temps avec sa famille, ou sur leurs vacances. Cela ne relève évidemment pas de la corvée, mais il s'agit bien de sacrifices ; enseigner est une vocation ! Cela ne se fait ni par plaisir (même si l'enseignant en trouve), ni par obligation, mais par devoir, car l'enseignant a accepté cette mission. Il répond par-là même à l'invitation de Funakoshi Senseï : 

L'Homme de progrès travaille toujours à se perfectionner, c'est une vertu. La plus haute est d'initier les autres.

Le moment du cours, le face à face pédagogique, est l'heure de vérité, autant qu'une seule partie du travail de l'enseignant. L'enseignant pense sa matière dans la journée, l'envisage la nuit, dans son quotidien. Il planifie (ce qui ne se limite pas à remplir des tranches horaires et à arrêter un programme), fixe des objectifs. L'enseignant met régulièrement en place une pédagogie différenciée, même si vous ne le voyez pas. Il va apporter du savoir à ses élèves, ses étudiants ou ses disciples (un statut très noble, puisqu'il qualifie celui qui étudie une discipline, celui qui SE discipline) en fonction de leurs niveaux respectifs, sur des moments ciblés, y compris lorsque le contenu semble identique. Et la démarche se décline à l'échelle de l'individu, puisqu'un élève progresse dans le temps, aura des facilités ici, mais peut-être de grandes difficultés ailleurs. Oui, la réflexion de l'enseignant le pousse à définir où il veut amener l'élève, du moins il doit l'inviter ou l'inciter fortement à le faire. N'y voyez point de pédagogisme, mais enseigner ou être enseigné implique que l'étudiant s'active dans son instruction (voilà un mot quasiment synonyme de notre objet d'étude). Il doit s'impliquer dans son apprentissage, travailler sans se contenter de n'être qu'un réceptacle. L'enseignant institue (jadis, on ne parlait pas innocemment d' « instituteur »), enseigner consiste à forger. Parfois l'enseignant brusquera, souvent il fera sortir l'élève de sa zone de confort. Oui, il s'agit, disons-le tout de go, d'un acte de violence, et une violence que l'étudiant s'inflige aussi, puisqu'il contribue à se forger lui-même, dépassant le stade initial (virginal ?) dans lequel il est, pour réaliser cette action paradoxale : amasser et épurer (l'alliance de l'analyse et de la synthèse). Dans cette démarche active, dans cette implication personnelle de celui qui est institué réside l'étincelle qui fait naître un grand feu, la liberté. Et bien qu'elle soit un droit inaliénable, elle s'apprend ! Ajoutons que l'égalité ne peut advenir là où ne règne point la liberté qui, dans un cours comme dans une société ou une Nation, ne peut être absolue.

On comprendra aisément que l'enseignant est confronté à la frustration : il n'atteint pas toujours ses objectifs ou doit accepter que la réalisation de ceux-ci soit différée ; ses élèves ne réussissent pas toujours. De surcroît, dans les écoles d' « arts martiaux », l'enseignant, le Senseï en japonais, « celui qui précède », « celui qui est né avant » (la naissance, une beauté née d'un moment violent), est aussi confronté aux départs de certains de ses élèves, parfois parmi les plus proches, et c'est dans l'ordre naturel des choses.

La matière enseignée elle-même guide vers une dimension plus profonde : affûter son esprit, son corps, œuvrer à l'exploration de son âme. Il s'agit de s'élever (le choix du mot « élève » est bien plus pertinent que le vocable pédagogiste en cours, « apprenant »). L'enseignant donne à l'élève les outils pour se forger, afin qu'il se révélât lui-même... à lui-même. Une perspective philosophique qui fait écho à la maxime du frontispice du temple de Delphes réinvestie par Socrate:

Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux.

Pour réaliser cette quête du savoir vers le Trésor le plus précieux qui soit, la connaissance de soi, l'enseignant a besoin d'un cadre spécifique. Il formulera même des demandes particulières. Les exigences de l'enseignant ne sont pas des caprices, mais les conditions sine qua none à la possibilité de réussite, voire la contrepartie légitime pour mener à bien sa mission.

Enfin, gardons à l'esprit que les leçons les plus précieuses de l'enseignant ne sont peut-être pas celles qu'il verbalise. Effectivement, si l'enseignant transmet par le discours bien sûr, ou la démonstration, il professe également par son attitude. L'occasion, brève, de partager une incise du Littré, qui souligne la distinction, certes minime, qui existe entre instruire et enseigner. Le Littré souligne : 

Il y a donc dans enseigner quelque chose qui regarde moins le résultat et davantage les moyens ; c'est le contraire dans instruire.

Ici, nous sommes proches de l'idée que ce qui forge n'est pas la finalité, mais le chemin pour y parvenir, et c'est tout à fait essentiel ! Le Littré poursuit : 

À un autre point de vue, instruire se dit plus exclusivement de l'enseignement intellectuel, et enseigner de l'enseignement moral [...]

Chacun comprendra qu'enseigner une morale, une éthique, ne peut se limiter à un exercice rhétorique, mais exige de la congruence. Ici, l'enseignant que je suis est en pleine adéquation avec Jaurès (moi qui suis pourtant clemenciste) : 

On n'enseigne pas ce que l'on sait ou ce que l'on croit savoir : on n'enseigne et on ne peut enseigner que ce que l'on est.

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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