La poussée des verts : l’arbre qui cache la forêt ?

La poussée des verts : l’arbre qui cache la forêt ?

            Il est intéressant pour l’historien politique d’observer la façon dont les commentateurs et les acteurs engagés de notre temps expliquent ce qui s’est déroulé hier. Aucune mise en perspective historique bien sûr, mais des analyses partielles et un déni du réel assez déconcertant, en l’occurrence la défaite de la Gauche et la victoire du total Droite / Extrême-Droite – un peu comme en 2001. Quant à l’abstention, celle-ci ne doit pas être analysée par le seul prisme du Corona virus.

 

La poussée des verts est réelle, incontestable, pour autant EELV n’a pas gagné les élections municipales. EELV s’est substituée à d’autres partis dits de Gauche. Ce n’est par ailleurs pas la première fois, le phénomène a déjà été observé à l’occasion des précédentes échéances européennes. Certes, EELV se trouvent à la tête de villes – mais quelles villes ? –, des communes qui étaient parfois gagnées à la Gauche. Entre rivalités objectives – Lille – et alliances de circonstances – Bordeaux –, ce qui transparaît est avant tout un changement – provisoire ? – de leadership dans les formations dites de Gauche. Ce qui doit être analysé, c’est ce que disent ce changement apparent de leadership et la victoire réelle de la Droite ; le tout devant être mis en perspective avec l’abstention record pour une élection municipale.

La problématique écologique au centre des enjeux ? Rien n’est moins sûr. Du moins, de quelle écologie parle-t-on ? Celle des vainqueurs de la mondialisation, de « la bourgeoisie new age » des villes ou des campagnes, qui estiment que le Français moyen perçu comme un bouseux, celui « qui roule en bagnole et qui fume des clopes », disons rapidement – trop rapidement ? – le gilet jaune, commet un écocide – terme dont on peut discuter la pertinence – parce qu’il roule en diesel, mange de la viande et se refuse à prendre des transports en commun qui n’existent pas pour l’amener de sa maison isolée dans sa ruralité profonde – où on ne vote pas EELV, étrange paradoxe – à son lieu de travail. Ce sont les 150 citoyens tirés au sort, dont Daniel Cohn-Bendit – le sort a décidément de l’humour – qui, sans avoir reçu le moindre mandatement du peuple – ce qui est une condition non exhaustive mais sine qua non de l’exercice démocratique – ont le pouvoir souverain de faire, au nom du peuple, des propositions aux élus de la Nation – il y aurait aussi beaucoup à dire quant à la légitimité de leur élection, mais passons.

L’autre point fondamental, c’est le projet sociétal d’EELV, qui revendique explicitement le communautarisme et la collaboration avec le fascisme islamique. Ainsi, piétinant tous les principes et toutes les valeurs de la Gauche française républicaine, au premier rang desquels l’unité et l’indivisibilité de la Nation, la Laïcité, l’humanisme et l’universalisme, se faisant héraut des accommodements déraisonnables, cette formation politique n’hésite pas plus que d’autres, y compris à Droite, à verser dans le clientélisme électoral ethnico-religieux – ce qui est foncièrement raciste – comme à Marseille par exemple. Sous couvert d’une fausse tolérance, on réintroduit donc des valeurs foncièrement réactionnaires, au service d’un projet politique rétrograde porté par l’obscurantisme religieux. Cette poussée d’EELV confirme le basculement du bloc des Gauches dans une coalition libérale-libertaire – projet philosophique de Droite puisqu’il consacre la liberté non comme un lien social mais comme un droit qui ne peut pas être entravé par le collectif – et communautariste – philosophie politique d’Extrême-Droite puisqu’elle détermine l’individu en fonction de critères purement ethniques, portés par le concept abject de « race », et consacrant la supériorité des lois de Dieu sur celle des Hommes. Le principal enseignement à tirer ici est la désertion de l’électorat traditionnel de la Gauche : les ouvriers bien sûr, réfugiés depuis longtemps dans les bras des Lepénistes, mais aussi des républicains radicaux, socialistes, des laïques, qu’ils soient souverainistes ou européistes. Désertion dans l’abstention ou dans les formations politiques de Droite, non pas qu’elles partagent leurs valeurs – et même loin de-là – mais perçues comme le dernier rempart à un projet politique fascisant ne pouvant qu’aboutir à la guerre civile.

 

            La Droite sort assurément vainqueur de cette élection. D’abord l’abstention lui profite, mais en plus les électeurs ayant voté ont reporté majoritairement leurs suffrages sur elle. De surcroît, elle prend sa revanche sur le parti présidentiel qui, après son « double hold-up » à l’occasion des deux élections de 2017, ne cesse de dépérir – et rappelons qu’Édouard Philippe n’est pas encarté à LREM. Ajoutons enfin que les communes et les territoires sont le vivier du Sénat…

Avec la complicité des médias, aveuglés par l’idéologie et étouffés par un mensonge devenu depuis longtemps systémique, cette victoire et ses conséquences probables ne sont ni signifiées, ni analysées ni encore moins mises en perspective. J’ouvre une porte sur ce qu’indiquait sur sa page personnelle Samuel Atlani : « 80% de la population absente des résultats […] les villes de moins de 9000 habitants, soit 52% de la population, ne sont-elles toujours pas officiellement comptabilisées, comme l’avait voulu la circulaire Castaner ? ». Dans de nombreuses villes, les seconds tours ont vu s’affronter deux candidats de Droite ; À Aix, le candidat de la Gauche unie ne totalise pas un tiers du total des candidates LR et LREM – cette dernière n’étant pas une incarnation de l’aile Gauche présidentielle –, les deux concurrentes totalisant plus de… 75% des suffrages ! Marseille ? La candidate du Printemps marseillais totalise moins de la moitié des suffrages exprimés, ce qui n’est pas anormal dans une triangulaire ; mais cette moitié est atteinte par le total Droite – LR et RN. Ainsi, une ville foncièrement à Droite sera probablement – la Gauche dispose d’une majorité très relative – gouvernée par une minorité de Gauche – le mode d’élection du maire à Marseille se fait par secteur et non par arrondissement, aussi rien n’est assuré. Champigny, bastion communiste, est arraché par la Droite. L’absence de culture générale dans les médias et la méconnaissance historique des pseudo-intellectuels les conduisent à entretenir des chimères qui bercent d’illusion l’ignorant et le bobocrate – souvent le même d’ailleurs – et à ce compte-là, ils finissent par voir ce qu’ils croient et non l’inverse.

Ne serait-il pas temps de rappeler qu’en 2001, la Droite avait remporté les élections municipales ? Mais les médias et l’intelligentsia avaient déjà cherché à cacher cette victoire derrière les basculements à Gauche de Paris et de Lyon. Le 21 avril 2002, le duel présidentiel opposait pourtant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen et la Gauche plurielle avait été disqualifiée. À l’époque, on plaçait déjà l’écologie au centre des préoccupations – Noël Mamère offrait aux Verts leur score le plus élevé à une élection présidentielle et Nicolas Hulot passait de plateaux en plateaux – et bien entendu, on avait négligé la question sécuritaire, présentée comme un fantasme de l’Extrême-Droite. Continuons à replacer les évènements dans une perspective historique. En 2005, le « Non » de Gauche l’aurait emporté… soit entre une victoire de la Droite – et l’exclusion de la Gauche du second tour j’insiste – à la Présidentielle et l’élection à 53% de Nicolas Sarkozy en 2007 suivie d’un raz-de-marée – moins important qu’annoncé – de l’UMP aux législatives. Hollande n’a pas gagné l’élection présidentielle en 2012, Sarkozy l’a perdue, ce qui n’est pas exactement la même chose… 2020 a vu le duel de Macron qui, bien que venant d’un gouvernement dit socialiste, a conduit un programme – enfin, un projet – qui est celui de la droite libérale type UMP – confirmé par le phénomène des nombreux transfuges et de report de voix au « troisième tour » – et de Le Pen fille. L’homme arrivé en troisième position – dans les conditions que l’on sait – était celui du grand parti de Droite, un conservateur revendiquant un programme à Droite toute. Enfin, les intentions de vote pour la prochaine échéance, que l’on se doit bien entendu de prendre avec énormément de réserves, placent, pour l’heure, un final bis repetita de 2017. Le basculement à Droite de la France, et depuis des années, est un phénomène réel et rarement mis en perspective. Il est dû, bien moins à la Droite elle-même, qu’à l’abandon de la Gauche de ses principes et ses valeurs, du reniement de ses propres combats et victoires, piétinés et sacrifiés sur l’autel du relativisme ethnico-religieux.

            La poussée d’EELV et la victoire de la Droite dans le contexte qui est le nôtre ne font que confirmer que la question identitaire est au centre des débats et des enjeux ; un bloc communautariste est bel et bien installé, collaborant à l’érection d’un projet politique religieux, substituant à la Nation – c’est-à-dire le Peuple, l’assemblée des Citoyens, quelles que soient leurs origines – le tribalisme – c’est-à-dire la partition d’un territoire organisé et réglé en fonction de « lois » différentes, reposant sur des pratiques différentiées portées par une philosophie foncièrement réactionnaire. Entre les deux, l’identité républicaine, sociale et laïque, est inexistante, aucunes formations politiques de premier plan ne la revendiquant plus. La gauche historique, la Gauche républicaine, sociale, laïque et universaliste, la gauche héritière des Lumières de la Philosophie du XVIIIème siècle, de la Révolution française, de la Commune et de « 1905 », cette Gauche qui d’un certain point de vue a quelques éléments de convergence avec le gaullisme social, n’est plus. Sur le plan de la représentation nationale elle est pulvérisée, sur celui des citoyens, dispersée et orpheline. Cela engage que l’identité républicaine, l’identité des citoyens, portée par le patriotisme – la Patrie ce n’est pas le sol, c’est la terre des Droits de l’Homme et de la liberté – est absente pour longtemps de l’arène politique. Les premiers responsables en sont les protagonistes de cette « nouvelle-gauche » communautariste, libérale-libertaire, islamo-compatible, qui n’a toujours pas compris que substituer les mots « musulmans » à « catholiques » ou « islam » à « christianisme » ne changent absolument rien au fond du propos et à la réalité d’un projet bâtit sur des critères purement ethniques – ce qui est xénophobe – et de facto fascisant. La Gauche n’a rien appris depuis le 21 avril 2002.  La lutte des « races » se substitue durablement à la lutte des classes. 


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

 


Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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