15 mars 44 avant Jésus-Christ : Jules César, le « dictateur démocrate » est assassiné

15 mars 44 avant Jésus-Christ : Jules César, le « dictateur démocrate » est assassiné

Parmi les personnages de l’Antiquité qui eurent un destin exceptionnel, qu’il se fut agi de Pericles, d’Alexandre le Grand, de Hannibal et de tant d’autres encore, Jules César est probablement l’un de ceux – celui ? – qui exerce encore la fascination la plus exacerbée. Démocrate pour les uns, criminels de guerre pour les autres, il est sans conteste possible celui par qui la civilisation occidentale arrive en Gaule et, par-là même, se déporte de son centre, la Méditerranée. César est un personnage complexe, difficile à saisir ; César le lettré, César le grand guerrier, le stratège militaire brillant, César le politique visionnaire. Son action et son oeuvre ont des conséquences encore aujourd’hui, jusque dans notre quotidien.

Oui, Caius Iulius Caesar, le météore, le politicien réformateur déconcerte l’historien tant il présente d’ambivalences, tant son trajet est singulier. Issu d’une famille de patriciens, César naît le 13 juillet 101 ou 100 avant Jésus-Christ et connaît une ascension politique qui s’appuie sur une carrière militaire auréolée de succès. Sa famille, la gens Iulia, était liée à Marius, sept fois Consul et oncle maternel de César. Au retour de Sylla, adversaire de Marius, César aurait dû être exécuté, comme les autres marianistes emblématiques, mais il est pourtant épargné – peut-être grâce à l’intervention d’un certain Pompée. César effectivement, avait refusé de répudier son épouse, Cornelia, marianiste – elle était la fille de Cinna –, mais était contraint à une forme d’exil. En – 81, il séjourne en Orient – en Asie mineure – notamment à la cour de Nicomède, Roi de Bithynie. La liaison du jeune romain avec le monarque oriental vaudrait à Jules César le sobriquet de « reine de Bithynie », car si l’homosexualité était tout à fait admise pour un aristocrate romain, il n’était pas question qu’il fût le « partenaire passif », ce qui aurait été le cas du jeune César. Le rêve oriental aurait-il éveillé chez ce patricien exilé, écrivant et parlant le grec, les velléités de marcher dans les pas d’Alexandre ? Suétone écrit dans La vie des douze Césars : « Comme questeur, il lui échut l’Espagne ultérieure ; il parcourait les lieux d’assises de cette province pour rendre la justice par délégation du préteur, lorsque, étant venu à Gadès, il remarqua, près du temple d’Hercule, une statue d’Alexandre le Grand : il se mit alors à gémir [comprendre à pleurer] et, comme écoeuré de son inaction, en pensant qu’il n’avait encore rien fait de mémorable à l’âge où Alexandre avait déjà soumis toute la terre, il demanda tout de suite un congé pour saisir le plus tôt possible, à Rome, les occasions de se signaler. »


C’est par ailleurs dans cette période qui court jusqu’en – 79 que César est capturé par des pirates. L’otage force le respect de ses geôliers par son courage, sa dignité, sa détermination ; l’homme croit en son destin ! Il leur promet qu’une fois sa rançon payée et qu’il sera libéré, il reviendra et se vengera. La rançon payée, César libéré, il revient et tient sa promesse : c’est un massacre.


Les années – 70 sont dans un premier temps politiquement défavorables à César, qui amorce son cursus honorum. Il perd les procès contre des partisans de Sylla – qui avait « abdiqué » en – 79 –, et s’endette considérablement. Néanmoins, sa carrière militaire épouse d’emblée le succès. De retour en Orient, il vainc les troupes de Mithridate, roi de Cilicie, en 74 avant Jésus-Christ. César le guerrier, l’homme qui combat avec ses soldats, sans se cacher derrière eux, naît donc bien avant la conquête des Gaules. Rappelons par ailleurs que le chef de guerre, dans l’Antiquité, est l’homme qui tire sa légitimité de sa valeur, de son courage au combat ; « c’est la guerre qui fait le roi », ce que n’est pas César. L’année suivante il est élu pontife et c’est en 68 avant Jésus-Christ qu’il entre au Sénat. Au cours de ces années, Pompée est dans la lumière ; il combat les pirates en Méditerranée et écrase à son tour Mithridate. Quant à César, qui a poursuivi le cursus honorum classique, s’appuyant sur le « parti » plébéien – les Populares, dont il devient l’une des figures emblématiques –, proposant à l’occasion de son édilité curule des jeux fastueux (- 65) – l’évergétisme est une donnée fondamentale dans l’antiquité « gréco-romaine » –, réussit l’exploit d’être élu en 63 avant JC Pontifex maximus, le plus haut dignitaire de la religion romaine, charge à vie ! Il faut dire qu’il a pu compter sur une campagne de corruption menée par Crassus. Mais l’appel de la gloire se fait toujours entendre.


C’est à l’occasion de sa propréture en Espagne ultérieure (- 69) que Jules César pacifie – entendre par le glaive – la Lusitanie. Le succès est tel, les qualités d’hommes de guerre et de chef sont si assurées que Jules César, qui ne peut encore rivaliser avec Pompée le Grand – Pompeius Magnus – acquiert une grande popularité dans l’armée. Mais César, qui s’inscrit dans cette tradition du « guerrier éclairé » – je renvoie à mon ouvrage La Plume et le Sabre, deux armes indissociables pour avancer sur la Voie du Guerrier –, celui qui a de l’instruction, porte son souci au-delà de la victoire des armes. À la tête d’une flotte qu’il a réquisitionnée, César navigue sur l’océan et reconnaît la côte ouest jusqu’en Galice ! Son gouvernement de l’Hispanie lui a de surcroît permis d’échapper à ses créanciers…


– 59, l’ascension vers la gloire : César est élu Consul – la magistrature exécutive la plus importante – avec le conservateur Bibulus – le « parti » conservateur, celui des Patriciens, est opposé à celui des Populares. Mais Crassus, Pompée et César sont alors, bien que rivaux, les hommes forts de la République. Ils pactisent secrètement – c’est le premier Triumvirat –, et César peut faire passer un certain nombre de réformes sociales, dont une réforme agraire. En mariant sa fille Julia à Pompée, l’alliance est consolidée.
Quoi faire à l’issue du Consulat ? Cette magistrature est limitée à un an d’exercice. César le sait : s’il veut obtenir le pouvoir, il lui faut se couvrir de gloire. Sa carrière militaire, honorable, ne peut toujours pas rivaliser avec celle de Pompée. Obtenant le proconsulat des Gaules Cisalpine – l’Italie du Nord – et Transalpine – l’actuel Sud de la France, déjà romain, qui compte comme base arrière et avant Aquae Sextiae, Aix –, ainsi que celui de l’Illyrie – l’Albanie – pour cinq ans. Il ne manque au général qu’un prétexte. Ce sont les Helvètes qui vont le lui donner, lorsqu’ils décident, en 58 avant Jésus-Christ, de migrer en masse vers l’Atlantique.


Les Romains craignent les Gaulois – ils ont pillé Rome en – 390. César amorce alors ce qu’il conviendrait d’appeler une « guerre préventive », qui évolue évidemment rapidement vers une guerre de conquête, appuyée notamment par les Eduens, Gaulois « Amis du peuple romain ». Le conflit allait durer huit années au cours desquelles César combattraient et vaincraient une à une toutes les tribus gauloises – en guerres permanentes entre elles jusque-là –, mais également des Germains.


Au cours de cette campagne, César fait une incursion spectaculaire en Germanie (- 55) ; on connaît l’épisode du pont traversant le Rhin, construit en dix jours seulement, le général estimant que son rang est celui du peuple romain imposât qu’il ne traversât pas le fleuve en barque. Au-delà de cette question, il s’agissait de marquer les esprits. Rome réalisait un exploit technique, l’un de ceux qui conduisirent des cités gauloises à se rendre sans même livrer combat en voyant les grandes tours se déplacer et avancer vers elles. Jules César soutenait ainsi les Ubiens, un peuple germanique allié de Rome, en conflits avec d’autres tribus. Au bout de dix-huit jours de campagne en territoire germain, César fait demi-tour et détruire le pont. Certes, les Germains pouvaient livrer combat, mais le message était limpide : César va où il veut, et il est prêt à combattre encore les terribles Germains – il avait vaincu Arioviste en – 58 – si ceux-ci continuent à s’aventurer en Gaule – relevons que l’historien Paul-Marie Duval souligne que si la Gaule n’avait pas été conquise par Rome, les Germains, qui y menaient des opérations régulières, l’auraient fait, retardant par-là même l’arrivée de la civilisation occidentale et ce que cela supposait. Les deux tentatives d’invasion de l’île de Bretagne, en 55 et 54 avant Jésus-Christ, échouent néanmoins mais dissuadent les Bretons de s’aventurer sur le continent pour affronter les légions.

Ce n’est qu’à la toute fin du conflit, en – 52, qu’un jeune aristocrate arverne qui a servi dans l’armée romaine, Vercingétorix, unit les tribus sous son autorité militaire. La stratégie de la terre brûlée paraît dans un premier temps fonctionner – Vercingétorix fait brûler les villages, les récoltes, dans le but de priver les légions césariennes, loin de la province romaine et plus encore de l’Italie, de se réapprovisionner et donc de les affamer ; puis il obtient une victoire retentissante à Gergovie. Les Eduens ne soutiennent plus César, les Rèmes lui restent fidèles. C’était quoiqu’il en soit sans compter sur le génie militaire du conquérant. En effet, ce dernier feint le retour dans la Gaule transalpine. Le chef gaulois tombe dans le piège et envoie sa cavalerie. Le général romain, en plus de ses hommes, peut s’appuyer sur des mercenaires germains ; les Gaulois sont écrasés. S’ensuit le repli stratégique de Vercingétorix sur Alésia, qui allait tourner au cauchemar. Tout était pourtant en place : le marteau – Alésia –, l’enclume – la plaine –, entre les deux, César, qui a compris le plan et le retourne contre ses ennemis. Il construit une ligne de fortifications de 18 kilomètres tournée vers l’opidum, une seconde de 21 kilomètres vers la plaine. Les terrains de part et d’autres sont « minés », les pièges atroces.


Ce sont peut-être plus de 300 000 Gaulois coalisés qui viennent s’écraser contre les quelques 70 000 légionnaires de Jules César. Le chef arverne finit par se rendre et déposer les armes aux pieds du vainqueur. En – 51, les derniers soubresauts celtes sont matés ; toute la Gaule – qui, il faut le préciser ici, est un territoire bien plus vaste que la France actuelle – est romaine, réorganisée, unie, et fait inédit, en paix ! César ne démobilise pas son armée, il fait peur aux aristocrates romains, et ses largesses à l’endroit du peuple grâce au butin de guerre le rendent très populaire.


Par ailleurs, ses rapports à destination du Sénat – qui donneraient naissance à ses fameux Commentaires sur la guerre des Gaules –, qui n’hésitent pas à verser dans l’héroïsation de l’ennemi afin de sublimer la gloire du général, sont connus et accroissent sa popularité. Entre temps, Crassus a été tué par les Parthes après sa défaite à Carrhes et Julia, la fille de Jules César, a trépassé : le Triumvirat n’est plus. Le vainqueur des Gaules s’inscrit désormais dans un face à face avec Pompée, dont les sénateurs conservateurs se servent de glaive contre ce démocrate dont la gloire surpasse maintenant celle de ceux qui l’ont précédé. Un aristocrate, militaire victorieux, à la tête des Populares, représente une menace imminente. Il est sommé de rentrer à Rome, sans son armée – à l’exception du Triomphe, aucune armée romaine ne pouvait passer le Pomerium, l’enceinte sacrée de Rome. César le sait : il serait contraint au suicide. – 49 : Alea jecta est, « le sort en est jeté », le général, à la tête de ses troupes, franchit le Rubicon.  César allait vaincre tous ses ennemis, à commencer par Pompée le Grand, qui bénéficiait pourtant d’une très nette supériorité numérique.


Il est vaincu à Pharsale, en Grèce, puis assassiné en Egypte – on croyait ainsi, à tort, faire plaisir à César. Là-bas, César prend le parti de Cléopâtre contre son frère, le pharaon Ptolémée XIII. La reine, gréco-macédonnienne, il convient ici de le souligner, est la VIIème du nom. La bataille d’Alexandrie ? Après un an de siège, qu’il subit, César est vainqueur. S’ensuit la bataille de Zéla, où il vainc Pharnace, roi du Pont – là, il aurait écrit au Sénat Veni, vidi, vici. Les pompéiens, il les écrase encore, en Afrique, puis en Espagne (- 45). Quant à Marseille, qui avait pris le parti de Pompée, elle s’était rendue, une flotte césarienne venant d’Arles l’ayant dissuadée d’aller au combat.


César, le général victorieux – Imperator –, en première ligne au combat, avait déjà célébré en – 46 un quadruple Triomphe – au cours duquel il fit exécuter Vercingétorix. Cependant, fin politique et brillant homme d’État, il se montre d’une clémence déconcertante auprès de ses adversaires qui désarment – Cicéron par exemple.

Un réformateur démocrate et d’ascendance divine : la gens Iulia prétendait en effet descendre de Iule, fils d’Énée, rescapé de Troie et fils… d’Aphrodite, la Vénus romaine. De facto, César se déclarait « fils de Vénus ». Il allait même recevoir le titre de divus – « divin ». De surcroît, on changea le nom de son mois de naissance, Quinctilis  – le cinquième mois de l’année, celle-ci commençant alors en mars, le mois du dieu de la guerre –, par le sien, « Juillet ». En tant que pontifex maximus, il avait effectivement réformé le calendrier, qui devenait « julien » : désormais, l’année compterait 365 jours. Le but de Jules César était  d’établir une correspondance parfaite avec le soleil sans avoir besoin de réajuster le calendrier. C’est donc en son honneur que le dictateur vit son nom attribué au cinquième mois – Iulius, « Jules », « Juillet ».

La dictature – une magistrature républicaine exceptionnelle –, il la reçut trois fois. La dernière, en 45 avant Jésus-Christ, il la reçut à vie. César voulait-il rétablir la monarchie à Rome ? Même s’il est difficile de trancher cette question, il est clair que dans les faits, César, qui n’a JAMAIS ÉTÉ empereur, était devenu un roi, et qu’il chercha à légitimer un pouvoir d’essence monarchique par le prisme de deux points au moins. D’abord sa gloire personnelle, subtil alliage de succès militaires, de prétendue ascendance divine et d’intelligence politique – aux Lupercales de – 44, Marc-Antoine lui tendit plusieurs fois une couronne dont il voulait ceindre sa tête, la foule désapprouva et César la refusa. S’agissait-il d’une initiative du co-consul de César ? D’un test du dictateur souhaitant s’assurer que le peuple fût prêt à la restauration monarchique à Rome ? Le second point est justement la plèbe, qui l’aime. Et la plèbe aime César parce que César mène une politique populaire, aux deux sens du terme.


Jules César proclame la diminution des dettes, organise des distributions gratuites de blé à Rome à destination des pauvres, fait baisser les prix des loyers, délivre des terres aux indigents et aux vétérans. Il porte à 800 le nombre de sénateurs au rang duquel accèdent des notables italiens et des Gaulois, il procède, bien entendu, à la nomination de fidèles aux magistratures.


C’est cette combinaison d’aspiration monarchique et de politique démocratique qui pousse des sénateurs républicains – entendre des oligarques –, à vouloir éliminer César. Par son pouvoir personnel et sa politique en faveur du peuple, Jules César menace la Libertas, c’est-à-dire les privilèges, des patriciens, qui jusque-là avaient le monopole de l’accès au Sénat. Ainsi, une poignée d’entre eux, avec l’assentiment de bien d’autres, entrent dans l’assemblée armés de poignards. Ce sont les Ides de Mars – le 15 du mois du dieu romain de la guerre. Le lendemain, César doit prendre la tête d’une expédition contre les Parthes, dont on dit que seul un Roi pourrait les vaincre – César entendait-il se faire couronner avant l’expédition, ou revenir victorieux légitimé par la réalisation d’une « prophétie » ? Une « prophétie », il y en aurait eu une, puisqu’on prévient César d’être prudent en ce jour de mars. Toujours est-il que le dictateur est désarmé. Se ruant sur lui, les conspirateurs le frappent en pleine séance. Mais l’homme, bien que sans arme, est un guerrier robuste. Il fallut vingt-trois coups de couteaux pour le terrasser, le dernier étant donné par le fils de Servilla, une ancienne maîtresse de César, Brutus, dont on dit qu’il l’aimait comme un fils. Avant de mourir, soucieux de sa Dignitas de patricien, Jules César se couvre le visage.

Le dictateur mort, son héritage allait être l’objet de bien des luttes. Marc-Antoine et Octave, vainqueurs des césaricides à Philippe en Grèce, en 42 avant Jésus-Christ, finiraient par se livrer la guerre pour le pouvoir suprême.

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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