Compte-rendu de lecture d’article d’histoire ancienne – Coqueugniot

Compte-rendu de lecture d’article d’histoire ancienne – Coqueugniot

Gaëlle Coqueugniot, « Des mémoriaux de pierre et de papyrus : les fondations de bibliothèques dans l’Antiquité grecque, entre mémoire et propagande », Conserveries mémorielles [En ligne], #5 2008, mis en ligne le 01 octobre 2008, Université Panthéon-Sorbonne, IHTP, CELAT.

Gaëlle Coqueugniot est membre de l’équipe de rédaction de la Maison Archéologie et Ethnologie de Nanterre (CNRS). Elle y travaille en tant que rédactrice en chef de « Revue archéologique », éditée par les PUF. Gaëlle Coqueuniot est une historienne spécialiste des civilisations de Méditerranée orientale aux époques hellénistique et impériale. Nous nous proposons ici de rendre compte de son article Des mémoriaux de pierre et de papyrus : les fondations de bibliothèques dans l’Antiquité grecque, entre mémoire et propagande. L’article est paru dans « Conserveries mémorielles, 2008, 3ème année, numéro 4, pp 47 – 61 ». Elle y dresse une synthèse de la complexité historique des bibliothèques antiques, ou plus précisément de leurs fonctions éminemment politique, de glorification de leurs fondateurs, à travers la conservation et la transmission du savoir. Si la dimension d’évergétisme semble traverser les époques au centre de l’étude, Coqueugniot attire cependant notre attention sur les continuités et les changements que l’on observe aux périodes hellénistique et romaine – et en l’occurrence impériale.

C’est à partir de quatre exemples – les bibliothèques d’Alexandrie, d’Athènes, d’Éphèse et de Nysa – et suivant un ordre chronologique, agrémenté de plans des édifices présentés, que l’auteure de l’article nous livre son analyse. Nous suivrons donc ce schéma.

Gaëlle Coqueugniot pose au préalable une esquisse de la réalité des bibliothèques à l’époque classique. Ainsi, les représentations sur les vases attiques et la tradition littéraire nous apprennent que des bibliothèques étaient rattachées aux écoles philosophiques platonicienne et péripatéticienne. L’historienne met en garde : ni la bibliothèque de l’école de Platon ni celle liée au précepteur d’Alexandre ne peuvent être considérées comme « publiques ». Il faut attendre le partage de l’empire d’Alexandre entre les Diadoques et l’émergence de la culture hellénistique pour voir les premières grandes collections réunies dans les bibliothèques royales. L’historienne s’attache à illustrer son propos à travers l’exemple de la prestigieuse bibliothèque d’Alexandrie – elle y consacre près de la moitié de son article. Elle fut fondée par le premier souverain lagide, compagnon d’Alexandre à qui revint l’Égypte, Ptolémée Ier Sôter. Déjà dans ses Enquêtes, Hérodote, « le père de l’Histoire », évoquait l’admiration des Grecs pour l’Égypte. De fait, les Lagides menèrent une politique de protection de l’hellénisme. Le grec s’impose – Coqueugniot précise par ailleurs que la dernière souveraine hellénistique, Cléopâtre VII, faisait figure d’exception en connaissant le démotique –, l’hellénisme est exalté et même le Sôma est détourné vers Alexandrie. Mais par le biais de la suprématie de l’hellénisme, c’est l’affirmation du pouvoir des Lagides qui est façonnée. La bibliothèque et le musée auquel elle était associée établit les fondations de la légitimé du pouvoir dès Ptolémée Ier, dans tout le monde hellénistique. Gaëlle Coqueugniot explique que le prestige de l’ensemble reposait sur l’éminence des savants que l’on y réunissait : Ératosthène – qui y fit la seconde partie de son expérience pour mesurer la circonférence de la Terre –, Aristophane de Byzance ou encore Théocrite de Syracuse. Rassembler le savoir, établir les éditions de ce que l’on estime être aujourd’hui des grands classiques, assoir un prestige politique. La perception de la bibliothèque à la fois comme temple du savoir et affirmation de la puissance politique était tellement ancrée à la jonction des IIIème et IIème siècles avant notre ère qu’une dynastie concurrente des Lagides, les Attalides, issue elle du Diadoque Lysimaque, en fonda une en sa capitale, Pergame. Par ailleurs, des bibliothèques essaimèrent dans tout le monde hellénistique. Relativement à la bibliothèque d’Alexandrie, Gaëlle Coqueuniot rappelle que la première description que nous en avons est d’époque romaine. Nous la devons à Strabon. Par ailleurs, l’historienne précise que les fondations des premières bibliothèques publiques commencent avec Rome. En effet, c’est sous le second Triumvirat que le général Assinius Pollio établit la première bibliothèque à Rome, près du temple de la Liberté, financée grâce au butin de guerre contre les Parthes. Sous le régime impérial, nous assistons même à une monumentalisation des édifices.

Gaëlle Coqueuniot s’attache à analyser le complexe édilitaire d’Athènes, aménagé probablement au Ier siècle de notre ère, et dont l’identification semble avoir été complexe. Celle-ci fut d’abord rendue possible grâce à la dédicace de T. Flavius Pantainos. La tria nomina indique clairement qu’elle est l’œuvre d’un citoyen romain – il faut en effet attendre l’Édit de Caracalla en 212 pour que la citoyenneté romaine soit accordée à tous les hommes libres de l’Empire – riche : il s’agit d’évergétisme. La bibliothèque de Pantainos semble même s’inscrire dans une politique d’urbanisation reliant le centre antique – l’agora – au nouveau marché romain à l’Est et de surcroît, correspondrait à une ornementation et un embellissement d’un site préexistant. L’archéologie, la stratigraphie, semblent confirmer cette hypothèse. Mais ce qui nous intéressera ici au premier chef sont les interprétations que livre l’historienne ; d’une part, les éléments découverts sont caractéristiques de l’évergétisme pratiqué par les Empereurs romains et les citoyens riches. D’autre part, la fonction pédagogique de la bibliothèque. Pantainos, en ayant ouvert au public la bibliothèque de son père, Flavius Ménandre, aurait ouvert par là-même l’ère des grandes donations de bibliothèques aux cités grecques par un citoyen riche. De surcroît, si la période impériale bouleverse l’aspect matériel des édifices de par leur caractère désormais ostentatoire, luxueux et monumental, localisés en plein cœur des cités, elle serait aussi marquée par la diffusion d’une culture lettrée. Les bibliothèques étant installées à proximité des forums ou des thermes, la démocratisation de la lecture et l’importance accrue de l’écriture amorcées dans les monarchies hellénistiques se sont accentuées sous l’Empire. Par ailleurs, c’est sous les Empereurs antonins, en l’occurrence Trajan et Hadrien, que les activités édilitaires se sont considérablement développées dans les provinces orientales. L’auteure de l’article précise que l’archéologie a mis en évidence une importante série de bibliothèques en Grèce et en Turquie.

Gaëlle Coqueuniot finit son étude en analysant les cas des bibliothèques de Celsus à Éphèse et de Nysa. Si les exemples précédents étaient marqués par l’assise d’un pouvoir politique et d’un prestige, ici la recherche de gloire pour le fondateur et sa famille prenait une autre dimension, le bâtiment devenant également un mausolée. Ainsi, Éphèse, la plus célèbre bibliothèque du IIème siècle de notre ère, fondée par le consul Titus Julius Aquila sous le long règne de Trajan, présente pour la compréhension de l’étude de nombreux intérêts. D’abord, sa dimension esthétique : il nous est précisé que la façade de cette construction monumentale était conçue pour attirer l’œil. Dans l’abside, dans l’axe central de l’entrée, une statue dont on suppose qu’il s’agirait probablement d’Athéna – Minerve pour les Romains, déesse du savoir. Ensuite, ses aspects fonctionnels : l’archéologie a révélé trois niveaux de niches et l’on suppose que les employés de la bibliothèque accédaient aux livres avant de les communiquer aux lecteurs en salle. Enfin, et là réside la grande nouveauté de l’époque impériale, la bibliothèque devient un « véritable mémorial de pierre à la gloire de sa famille et de son fondateur. » Sous la bibliothèque d’Éphèse, édifice individuel, se trouve le tombeau du père du fondateur. La configuration de la bibliothèque de Nysa est analogue à celle d’Éphèse. Construite vraisemblablement aux alentours de 130, sous le règne d’Hadrien, hypothèse est formulée qu’elle soit l’œuvre d’un évergète. Si aucune inscription ne permet d’établir les circonstances et l’identité du fondateur, la présence du magnifique sarcophage en marbre dans le portique d’entrée, ainsi exposée à la vue des lecteurs et des passants, permet lui de conclure avec certitude sa fonction : la gloire et la postérité des donateurs. Au-delà de ce point remarquable en soi, Gaëlle Coqueuniot attire notre attention sur un autre élément exceptionnel des deux bibliothèques de provinces orientales : les défunts ne sont pas inhumés dans des nécropoles, mais restent au cœur de la cité. Ainsi, ils sont érigés au rang de héros, bénéficiant d’un culte de la part de la cité. Ici, la fonction de mausolée semble prendre le pas sur celle de transmission du savoir.

Si les rois hellènes fondèrent les bibliothèques sur le modèle de celles attachées, au IVème siècle avant notre ère, aux écoles philosophiques d’Athènes, leurs édifices étaient néanmoins imprégnés d’une dimension mémorielle forte. Cette vocation est polymorphe :

  • La conservation, la transmission des textes et des savoirs. Nous noterons par ailleurs l’essence « encyclopédique » des bibliothèques d’Alexandrie et de Pergame, dont l’exégèse des savants a permis l’édition de textes commentés ;
  • La dimension mémorielle, voire « dynastique », au service d’une mission politique, en l’occurrence la propagation de la culture hellène et la domination idéologique des dynasties hellénistiques, ou la glorification du fondateur et de sa famille à l’époque romaine ;
  • La monumentalisation des édifices à l’époque impériale, culturels ou non du reste – nous pensons notamment à l’amphithéâtre flavien, construit sous l’Empereur Vespasien, inauguré par son premier fils Titus et agrandi par son second fils Domitien. Les édifices deviennent fastueux et occupent une position centrale dans la cité. L’historienne nous fait d’ailleurs remarquer qu’ils sont bien moins caractérisés par leurs traits architecturaux et fonctionnels que par leurs dédicaces.

Nous relèverons que ce dernier élément s’inscrit dans un contexte d’émulation et de rivalités entre évergètes, lequel entraîna la multiplication des ensembles thermaux et culturels. Le processus culmine au IIème siècle de notre ère, soit à l’apogée de l’Empire romain.

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia

Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia a grandi et vécu dans la banlieue Ouest d'Aix en Provence. Il est engagé dans des réseaux d'éducation populaire depuis une vingtaine d'années. Militant laïque, républicain radical, il réalise actuellement une thèse de Doctorat d'Histoire moderne sur la sociabilité politique pendant Révolution française. Il est également professeur de Karaté-Do et éducateur sportif professionnel.


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